Le texte intégral du message du Président de la République fin 2022 : « La Constitution reste notre boussole, la respecter est notre premier devoir. La mienne aussi »
« Il y a un an, m’adressant à vous à cette occasion, je définissais les sept dernières années comme exigeantes et complexes. Ainsi l’a été l’année écoulée, si riche en événements politiques et institutionnels importants. L’élection du Président de la République, avec le choix de Parlement et les délégués des Régions qui, de façon inattendue pour moi, m’engagent pour un second mandat. La dissolution anticipée des Chambres et les élections générales, tenues, pour la première fois, à l’automne. Le résultat électoral clair a permis la naissance rapide du nouveau gouvernement, dirigé, pour la première fois, par une femme. C’est une nouveauté d’une grande portée sociale et culturelle, qui se développait depuis un certain temps dans notre pays et qui est maintenant devenue une réalité.
En quelques années, presque toutes les forces politiques présentes au Parlement se sont relayées au gouvernement, dans différentes coalitions parlementaires. Ce qui s’est passé les a tous placés, à des moments différents, face à la nécessité de se mesurer aux difficultés de gouverner. Reconnaître la complexité, exercer la responsabilité des choix, affronter les limites imposées par une réalité de plus en plus caractérisée par des phénomènes mondiaux : de la pandémie à la guerre, de la crise énergétique à la crise alimentaire, du changement climatique aux phénomènes migratoires.
La concrétude de la réalité a ainsi appelé chacun à la responsabilité. Elle invite chacun à s’appliquer à l’urgence des problèmes qui attendent des réponses. Notre démocratie s’est donc révélée, une fois de plus, une démocratie mûre et accomplie, grâce aussi à cette expérience, acquise par tous, de représenter et de gouverner un grand pays. C’est cette prise de conscience, dans le respect de la dialectique entre majorité et opposition, qui conduit à une vision commune de notre système démocratique, au respect de règles incontournables, du rôle de chacun dans la vie politique de la République. Cela correspond à l’esprit de la Constitution. Demain, 1er janvier, ce sera le 75e anniversaire de son entrée en vigueur. La Constitution reste notre boussole, son respect notre premier devoir ; le mien aussi.
Soutien total au peuple ukrainien
Sergio Mattarella
Nous attendons d’accueillir la nouvelle année mais même en ces heures nos pensées ne peuvent se détourner de la guerre qui ensanglante notre Continent. 2022 a été l’année de la guerre folle déclenchée par la Fédération de Russie. La réponse de l’Italie, de l’Europe et de l’Occident a été un soutien total au pays attaqué et au peuple ukrainien, qui défendent courageusement sa liberté et ses droits. Si c’était l’année de la guerre, nous devons concentrer nos efforts pour que 2023 soit l’année de la fin des hostilités, du silence des armes, de l’arrêt de cette traînée inhumaine de sang, de morts, de souffrances.
La paix est un élément fondateur de l’identité européenne et, depuis le début du conflit, l’Europe a cherché des ouvertures pour y parvenir dans la justice et la liberté. Le Pape François ne cesse d’exhorter à la paix, à qui j’adresse, avec une grande affection, un salut reconnaissant, en lui exprimant les sincères condoléances de l’Italie pour le décès du Pape émérite Benoît XVI. Nous ressentons une profonde tristesse pour les nombreuses vies humaines perdues et parce que, chaque jour, des maisons, des hôpitaux, des écoles, des théâtres sont détruits, transformant des villes et des villages en un tas de ruines. D’énormes quantités de ressources financières sont brûlées pour des armements qui, s’ils étaient destinés à la faim dans le monde, à la lutte contre la maladie ou la pauvreté, seraient un soulagement pour l’humanité. De ces autres dommages graves, la responsabilité incombe entièrement à la personne qui a agressé et non à ceux qui se défendent ou à ceux qui l’aident à se défendre. Réfléchissons-y : si l’agression réussissait, d’autres suivraient, avec d’autres guerres, aux frontières imprévisibles.
On ne se résigne pas à ce présent
Sergio Mattarella
Nous ne nous résignons pas à ce présent. Cela ne peut pas être l’avenir. L’espoir de paix se fonde aussi sur le rejet d’une vision qui fait reculer l’histoire, d’un obscurantisme hors du temps et hors de la raison. Elle repose avant tout sur la force de la liberté. De la volonté d’affirmer la civilisation des droits. Quelque chose qui est ancré dans le cœur des femmes et des hommes. Encore plus fort dans les nouvelles générations. Les jeunes femmes d’Iran en témoignent par leur courage. Femmes afghanes luttant pour leur liberté. Ces garçons russes qui défient la répression pour dire non à la guerre.
Les dernières années ont été difficiles. Ce que nous avons vécu a provoqué ou aggravé les tensions sociales, les fractures, la pauvreté. De Covid – malheureusement pas encore définitivement vaincu – nous avons tiré des leçons à ne pas oublier. Nous avons compris que la science, les institutions civiles, la solidarité concrète sont des ressources précieuses d’une communauté, et plus elles sont efficaces, plus elles sont capables de s’intégrer et de se soutenir mutuellement. Plus ils produisent de la confiance et de la responsabilité chez les gens. Il faut travailler pour que se renforce l’irremplaçable garnison d’unité du pays représentée par le Service National de Santé, plaçant de plus en plus la personne et ses besoins concrets au centre, sur le territoire où elle vit.
Je sais bien combien d’Italiens font face à ces mois avec de grandes inquiétudes
Sergio Mattarella
Je sais bien combien d’Italiens affrontent ces mois-ci avec de grandes inquiétudes. L’inflation, les coûts énergétiques, les difficultés de nombreuses familles et entreprises, l’augmentation de la pauvreté et des besoins. Le manque de travail nous enlève des droits et de la dignité : le prix que nous payons pour le chômage et la précarité est encore trop élevé. Surtout, la condition de nombreux enfants en difficulté est alarmante. La pauvreté des enfants a quadruplé depuis le début de la crise mondiale de 2008. Les différences liées aux facteurs sociaux, économiques, organisationnels et sanitaires entre les différents territoires de notre pays – entre le Nord et le Sud, pour les petites îles, pour l’intérieur des terres – créent des injustices, nuisent au droit à l’égalité.
La Constitution nous guide encore, où elle prescrit que la République doit lever les obstacles économiques et sociaux qui nuisent aux droits des personnes, à leur pleine réalisation. Sans distinction. La République, c’est nous tous. Ensemble. L’Etat dans ses articulations, les Régions, les Communes, les Provinces. Les institutions, le Gouvernement, le Parlement. Femmes et hommes qui travaillent dans l’administration publique. Organismes intermédiaires, associations. La vitalité du tiers secteur, la générosité du volontariat. La République, notre patrie, est composée de femmes et d’hommes engagés auprès de leurs familles. La République est au sens civique de ceux qui paient des impôts car cela sert à faire fonctionner l’Italie et donc au bien commun.
La République est dans le sacrifice de ceux qui, vêtus d’un uniforme, risquent d’assurer la sécurité de tous. En Italie comme dans de nombreuses missions internationales. La République est dans la fatigue de ceux qui travaillent et dans l’angoisse de ceux qui cherchent du travail. Dans l’engagement de ceux qui étudient. Dans l’esprit de solidarité de ceux qui se soucient des autres. A l’initiative de ceux qui font des affaires et créent des emplois. L’élimination des obstacles est un engagement partagé qui exige l’unité d’objectif, la cohésion et la force morale. C’est grâce à tout cela que l’Italie a résisté et obtenu des résultats qui inspirent confiance.
Notre capacité à réagir à la crise engendrée par la pandémie est démontrée par la croissance économique importante qui s’est produite en 2021 et 2022. Nos entreprises, à tous les niveaux, ont pu, dès que possible, redémarrer avec un élan : elles avaient la force de réagir et, souvent, se renouveler. Les exportations de nos produits se sont maintenues et ont même augmenté. L’Italie est revenue en très peu de temps pour être une destination pour des milliers de personnes du monde entier. La beauté de nos lieux et de notre nature a exercé une fois de plus un formidable pouvoir d’attraction.
Il y a donc des raisons concrètes qui nourrissent notre espérance mais il faut un regard vers l’horizon, une vision d’avenir. Pensons aux nouvelles technologies, aux résultats extraordinaires de la recherche scientifique, à la médecine, aux nouvelles frontières de l’espace, à l’exploration sous-marine. Des scénarios impensables il y a encore quelques années et maintenant devant nous. Des défis mondiaux, toujours. Parce que c’est la modernité, avec son changement continu, qui est globale. Et c’est dans ce scénario, largement inédit, que nous mesurons la valeur et la pertinence de nos choix stratégiques : l’Europe, le choix occidental, nos alliances. Notre responsabilité première dans la zone que nous définissons comme la Méditerranée élargie. Notre relation privilégiée avec l’Afrique. Il faut rester dans notre temps, pas dans le passé, avec intelligence et passion. Pour ce faire, nous devons changer notre façon d’interpréter la réalité.
Nous devons apprendre à lire le présent avec les yeux de demain. Penser à refuser le changement, à renoncer à la modernité n’est pas seulement une erreur : c’est aussi une illusion. Le changement doit être guidé, l’innovation doit être interprétée pour améliorer nos conditions de vie, mais elle ne peut être supprimée. Le défi consiste plutôt à planifier demain avec courage. Sécuriser la planète, et donc notre avenir, l’avenir de l’humanité, c’est d’abord aborder concrètement la question de la transition énergétique. L’énergie est ce qui permet à nos sociétés de vivre et de progresser. Le travail complexe nécessaire pour passer des sources traditionnelles, polluantes et nocives pour la santé et l’environnement, aux énergies renouvelables, représente la nouvelle frontière de nos systèmes économiques. Ce n’est pas un hasard si sur ces enjeux, et notamment pour l’affirmation d’une nouvelle culture écologique, on enregistre la mobilisation et la participation de nombreux jeunes.
L’autre changement que nous vivons, et dont nous avons probablement encore du mal à appréhender l’ampleur, concerne la transformation numérique. L’utilisation des technologies numériques a déjà changé nos vies, nos habitudes et probablement les façons de penser et de vivre les relations interpersonnelles. Les nouvelles générations vivent déjà pleinement cette nouvelle dimension. La quantité et la qualité des données, leur rapidité peuvent être des éléments mis au service de la croissance des personnes et des collectivités. Ils peuvent aider à surmonter le retard et les lacunes, à simplifier la vie des citoyens et à moderniser notre société. Des choix appropriés doivent être faits, en promouvant une culture numérique qui garantit les libertés des citoyens.
Le troisième investissement majeur pour l’avenir concerne les écoles, les universités et la recherche scientifique. C’est là que nous préparons les protagonistes du monde de demain. C’est là que nous formons les filles et les garçons qui devront faire face à la complexité de ces phénomènes mondiaux qui nécessiteront des compétences adéquates, ce que nous ne sommes pas toujours en mesure de garantir aujourd’hui. Le Plan national de relance et de résilience pousse l’Italie vers ces objectifs. Nous ne pouvons pas nous permettre de rater cette occasion. Nous le devons à nos jeunes et à leur avenir.
En parlant de jeunes, je voudrais – un instant – m’adresser à eux directement : nous sommes tous touchés par le drame des nombreux morts sur les routes. Trop d’enfants perdent la vie la nuit dans des accidents de voiture, à cause de la vitesse, de la légèreté, de la consommation d’alcool ou de drogue. Lorsque vous conduisez, votre vie et celle des autres sont entre vos mains. Ne le détruisez pas pour un moment d’imprudence. N’annulez pas votre avenir. Chers concitoyens, regardons demain avec un nouveau regard. Regardons demain avec les yeux des jeunes. Nous regardons leurs visages, nous recueillons leur espoir. Faisons-les nôtres. Faisons en sorte que l’avenir des jeunes générations ne soit pas seulement ce qui reste du présent mais soit le résultat d’un exercice de conscience de notre part. Échapper à la prétention de choisir pour eux, de conditionner leur chemin. La République vit de la participation de tous. C’est le sens de la liberté garantie par notre démocratie. C’est surtout la raison pour laquelle nous avons la foi. Voeux!”
1er janvier 2022 (changement 1er janvier 2022 | 08:26)
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