La gauche française divisée ne répétera pas les victoires passées


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Il y a dix jours, j’assistais à un colloque en mémoire de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement du Front populaire des années 1930 dirigé par le socialiste Léon Blum. Malheureusement, Zay est surtout connu pour sa fin tragique. Emprisonné par le gouvernement de Vichy en 1940, il fut fusillé juste avant la Libération par leurs paramilitaires. Milice.

L’ambiance était morose. Les participants étaient sous le choc de la dissolution inattendue du Parlement par Emmanuel Macron après les élections européennes. Cette décision irréfléchie a probablement été motivée par l’idée que, la gauche française étant divisée, les élections pourraient profiter au centre macroniste. Mais en quatre jours, les partis de gauche ont formé une alliance électorale, baptisée Nouveau Front populaire (NFP), en hommage au légendaire gouvernement Blum. Comme son prédécesseur, le NFP est une pléthore d’organisations peu maniables, dont les deux composantes principales sont le Parti socialiste et la France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon.

Pendant trois décennies, la gauche française a été dominée par le Parti socialiste (PS) de François Mitterrand. Cette domination s’est érodée à mesure que le parti s’éloignait de sa base ouvrière. Le clou final a été l’inefficacité de la présidence de François Hollande de 2012 à 2017. Profitant de cette désillusion, Mélenchon, ancien dirigeant du PS, a créé la LFI, inspirée par le mouvement anti-austérité espagnol Podemos. Lors de l’élection présidentielle de 2017, il est arrivé quatrième avec 20 % des voix, tandis que le candidat socialiste a obtenu 6 %. En 2022, il est arrivé troisième avec 22 % des voix, tandis que le candidat socialiste a obtenu 1,75 %.

Mélenchon, sorte de Corbyn français, est un démagogue charismatique, avec un côté autoritaire qui lui est étranger. Il est hostile à l’UE, anti-américain et indulgent envers la Russie de Poutine. Il a le mérite de défendre les minorités musulmanes plus que d’autres hommes politiques français. Mais depuis 2022, il adopte des positions de plus en plus véhémentes. Après l’attaque du 7 octobre contre Israël, il a refusé de qualifier le Hamas d’organisation terroriste. Le style de leadership brutal de Mélenchon a aliéné ses propres collègues. Sa cote a commencé à chuter. Aux élections européennes de cette année, LFI a obtenu moins de voix que les socialistes. Et c’est l’un de ses rivaux au parti qui a devancé Mélenchon en lançant l’idée du NFP. Mélenchon a dû l’accepter.

Au premier tour des élections de dimanche dernier, le NFP est arrivé deuxième (28 %), derrière le Rassemblement national (33 %). Invoquant la tradition française, sacrée mais de plus en plus effilochée, selon laquelle lorsque les valeurs « républicaines » sont menacées, tout le monde s’unit pour les défendre, le NFP a accepté que ses candidats arrivés troisièmes se retirent si un candidat macroniste est mieux placé pour battre le RN au deuxième tour. Auparavant, Mélenchon avait accusé les macronistes de ne pas être meilleurs que le RN.

Les groupes composant le centre macroniste ont été plus ambigus sur leur position. Macron a appelé les électeurs à rejeter le RN alors qu’il avait déclaré quelques jours plus tôt que les deux extrêmes étaient aussi mauvais l’un que l’autre. Il a peut-être changé de position, mais d’autres centristes ont été moins clairs. Un membre de son gouvernement a déclaré que le RN était une menace pour la République et LFI une menace pour la nation.

Même si les Macronistes se retirent aujourd’hui, il n’est pas certain que ceux qui ont voté pour eux au premier tour reportent leurs voix vers la gauche au second. J’ai parlé à une amie dont je m’attendais, entre le NFP et le RN, à ce qu’elle vote pour le premier. Elle m’a dit que s’il n’y avait pas de Macroniste pour qui voter, elle choisirait le RN en raison de l’antisémitisme présumé de Mélenchon.

Il paraît impossible que le NFP obtienne la majorité au deuxième tour. Si tel était le cas, la situation serait chaotique. Il a bricolé des politiques communes : suppression de la réforme des retraites de Macron, hausse du Smic, rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune que Macron a bêtement supprimé en 2017, etc. Sinon, ses dirigeants ne s’entendent sur rien et se méfient les uns des autres. On ne sait même pas qui pourrait émerger comme premier ministre potentiel. Comme son célèbre prédécesseur, le NFP est essentiellement une coalition négative pour combattre l’extrême droite.

Quoi qu’il en soit, le RN n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Pas étonnant que mes collègues parisiens aient été déprimés. Le Front national originel, fondé par le père de Marine Le Pen en 1972, comptait d’anciens membres du parti. Milice qui a assassiné Zay. Le parti s’est depuis « désintoxiqué » superficiellement mais sa vision du monde reste inchangée. Pour tous ceux qui croient aux valeurs universalistes de la Révolution française et à l’égalité de tous les citoyens français quelle que soit leur origine ethnique, ce sont des temps sombres et troublants.

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