L’écrivain est directeur général de McLarty Associates, chercheur principal non résident à l’Atlantic Council et auteur de « Henry Kissinger, l’Européen ».
Celui qui remportera l’élection présidentielle de dimanche en France devra réorienter la politique étrangère du pays de manière fondamentale. En effet, deux changements importants et continus sont en train de transformer l’UE.
Le premier est l’émergence de l’Allemagne en tant que puissance « tous domaines ». Le leadership franco-allemand en Europe a longtemps reposé sur une répartition tacite des responsabilités. L’Allemagne était la puissance industrielle et commerciale dominante, tandis que la France offrait un contrepoids avec sa crédibilité en matière de défense et sa politique étrangère active. Or, l’annonce fin février par le chancelier allemand Olaf Scholz d’un fonds de 100 milliards d’euros pour moderniser l’armée du pays a bouleversé ce fragile équilibre.
Le deuxième changement majeur est la confiance et l’assurance accrues de plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, notamment la Pologne. Des réformes judiciaires controversées avaient auparavant opposé le gouvernement Droit et Justice de Varsovie à Bruxelles, mais la guerre en Ukraine, au cours de laquelle la Pologne a fait preuve d’une générosité extraordinaire envers les réfugiés ukrainiens, a complètement changé la donne.
Comment la France réagira-t-elle à ce qui semble être de profonds changements dans la dynamique de pouvoir de l’UE ? Si la candidate présidentielle d’extrême droite europhobe Marine Le Pen gagnait dimanche, elle continuerait sans aucun doute à déplorer le déclin de la France. Jouant sur les pires instincts de l’électorat, elle continuerait à fulminer contre une UE dominée par Berlin. Mais même pour un pro-européen passionné comme le président Emmanuel Macron, la tentation de tenter de réaffirmer le leadership français par des gestes diplomatiques grandioses serait difficile à résister.
Cependant, un tel retour au type serait une très grave erreur. Les partenaires européens de la France et d’autres puissances, dont les États-Unis, y reconnaîtraient immédiatement un signe de faiblesse et d’insécurité. Au lieu de cela, le candidat gagnant devrait faire trois choses pour répondre à la nouvelle distribution en Europe.
Le premier sera de veiller à ce que la France continue d’être le moteur des idées de l’Europe, comme elle l’a d’ailleurs été sous la présidence de Macron. De nombreuses propositions du dirigeant français ont été controversées à Bruxelles, mais peu contesteraient que les propositions audacieuses de Paris, telles que celles sur «l’autonomie stratégique» européenne qui ont maintenant été justifiées par la crise ukrainienne, ont façonné l’agenda de l’UE et suscité un débat constructif. Ils ont également aidé la France à retrouver l’influence européenne qui s’était érodée pendant le mandat unique de François Hollande à l’Elysée.
La deuxième tâche consiste à poursuivre un programme de réformes structurelles qui permettra à la France de devenir un acteur dans tous les domaines, comme l’Allemagne aspire désormais à l’être. Plutôt que de craindre ou d’en vouloir à l’émergence de l’Allemagne comme puissance de défense, les dirigeants français devraient se demander comment faire de leur pays un partenaire économique, industriel et commercial plus crédible. Cela nécessitera des choix politiques douloureux – comme la réforme tardive du système de retraite déjà prônée par Macron – mais c’est le seul moyen de rééquilibrer la relation franco-allemande.
Enfin, le vainqueur de cette élection devra contrebalancer la traditionnelle diplomatie française du panache par une diplomatie de l’humilité.
Une diplomatie de l’humilité impliquerait que la France renforce ses liens avec tous ses partenaires européens, notamment les pays d’Europe centrale, orientale et septentrionale. Il s’agira de tenter de mieux comprendre le contexte historique de ces nations et les contraintes politiques intérieures sous lesquelles elles opèrent. Plutôt que de céder à son penchant naturel pour la grandiloquence, la France devrait choisir la voie de la sobriété et du vrai dialogue. Plutôt que de toujours rechercher les projecteurs, il devrait gagner la confiance de ses partenaires en construisant des coalitions et en façonnant des compromis dans l’isolement des chancelleries européennes.
L’humilité n’a jamais été la plus grande force de la France. Cela ne vient pas nécessairement naturellement aux dirigeants du pays. Mais à la veille d’une élection qui sera décisive pour l’avenir de l’Europe, force est de constater que seul Macron est capable de porter le genre de réorientation de la politique étrangère française qui s’impose de toute urgence. Le succès dépendra de sa capacité à trouver la confiance – et à se voir confier un mandat suffisamment fort – pour construire une nouvelle approche française qui allie la créativité et le flair diplomatiques traditionnels du pays à un engagement résolu dans des partenariats entièrement nouveaux.