La formation de listes bilingues, restée inaperçue mais toujours d’actualité

Dave Sinardet est professeur de sciences politiques (VUB/UCLouvain). Sa chronique paraît bimensuellement le lundi.

Dave Sinardet

Depuis que Jean-Luc Dehaene est sorti inopinément de sa tombe mercredi soir, il domine l’actualité politique. Il a même réussi à écarter les listes wallonnes N-VA, qui avaient fait l’objet d’une attention médiatique massive les jours précédents. J’ai même reçu des questions des Pays-Bas pour faire la lumière à ce sujet. Pour les nationalistes flamands qui veulent briser la barrière linguistique électorale, c’est bien sûr un jeu intellectuel stimulant.

Mais c’est tout pour l’instant. Lorsqu’on lui a demandé plus de détails, Bart De Wever a déclaré qu’il n’y avait pas encore de plan concret, ce qui constitue un obstacle important à six mois des élections si l’on veut vraiment en faire un triomphe. Peut-être que ces listes wallonnes de la N-VA resteront aussi virtuelles que la résurrection de Dehaene.

Cependant, le même jour que la sortie de De Wever, une formation de liste transfrontalière réelle et pertinente a également été annoncée, mais elle est restée largement ignorée. Sammy Mahdi et Maxime Prévot, présidents du CD&V et des Engagés (anciens démocrates-chrétiens francophones), ont annoncé former une liste parlementaire commune pour la circonscription bruxelloise.

Maintenant, vous pouvez dire que cette annonce a également des fonctionnalités virtuelles, car selon toute vraisemblance, la place de CD&V ne sera pas éligible. Mais c’est précisément pourquoi ce choix constitue un signal politique frappant.

Après tout, le CD&V pourrait parfaitement présenter sa propre liste parlementaire, voire aucune, le résultat serait le même : tous les partis flamands n’ont aucune chance à Bruxelles, faute d’électeurs flamands en nombre suffisant. Dans le passé, les Bruxellois flamands pouvaient encore être élus grâce aux votes du Vlaamse Rand, mais depuis la scission de la circonscription de Bruxelles-Halle-Vilvorde, seules les places sur les listes francophones offrent un réconfort. Ou comment la dernière revendication de scission flamande a conduit à un rapprochement entre partis flamands et francophones.

Lors des précédentes élections fédérales, les Verts, les socialistes et la gauche radicale se sont déjà réunis à Bruxelles, ce qui a donné naissance à deux élues supplémentaires dans le groupe néerlandophone : Tinne Van der Straeten (Verts) et Maria Vindevoghel (PVDA).

En attendant, les libéraux travaillent également sur une liste bilingue. Mais ironiquement, la candidate au profil le plus translinguistique constitue la pierre d’achoppement la plus importante : Alexia Bertrand, dont la « transition » vers l’Open Vld n’est pas encore totalement digérée au MR.

Cinquième réforme de l’État

Mais revenons au CD&V et aux Engagés. Le fait qu’ils forment désormais une liste commune est particulièrement remarquable, car ce sont ces (anciens) partis frères qui se sont le plus éloignés les uns des autres au cours des deux dernières décennies.

Le désaccord est apparu principalement en 2001, lorsque les démocrates-chrétiens francophones ont aidé le Premier ministre Guy Verhofstadt à faire adopter la cinquième réforme de l’État, à laquelle leurs pairs flamands s’étaient tant opposés. Le fait que la présidente Joëlle Milquet pousse le parti vers la gauche et apparaisse comme « Madame Non » dans les négociations communautaires n’a évidemment pas aidé. Et à partir de 2014, les deux partis sont à nouveau séparés par la frontière entre majorité et opposition : ils ne siègent plus ensemble au sein du gouvernement fédéral.

Ils veulent éviter ce dernier cas à l’avenir. C’est là que réside la pertinence politique de leur collaboration. Cette logique « ensemble hors maison » augmente les chances de participation de Mahdi et Prévot au conseil d’administration, surtout si on les étend au niveau local et régional bruxellois.

Une fois réunis au sein d’un gouvernement, ils peuvent avoir un poids plus important. Prévot a toujours appartenu au centre-droit et a désormais orienté son parti davantage dans cette direction. Par exemple, Les Engagés se démarquent fortement dans la justice et la police et préconisent de limiter les allocations de chômage à deux ans, alors que pour CD&V, cela pourrait même être à trois ans. Le renouvellement du personnel s’inscrit également en partie dans un sens libéral : l’ancien président de l’Union wallonne des entreprises (la Voka wallonne) et le directeur de l’aéroport de Charleroi ont été nommés nouveaux dirigeants du parti.

Cela relativise la déclaration de De Wever et Bouchez selon laquelle la Wallonie est complètement de gauche, à l’exception de MR.

Reste à savoir si Les Engagés parviendront à laisser derrière eux le creux électoral historique de leur prédécesseur le CDH. Et qui saura le mieux capitaliser sur cette collaboration ressuscitée au centre.



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