Il y a dix ans, Paul Tucker, alors vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre, a lancé un appel passionné aux financiers et à ses collègues régulateurs. Il voulait qu’ils prennent conscience des dangers autour des chambres de compensation qui sous-tendent les échanges.

Après tout, a-t-il noté, trois institutions de compensation avaient échoué de mémoire d’homme : deux, en 1974 et 1983, à cause des fluctuations des prix des matières premières ; et un, en 1987, lorsque les cours des actions ont provoqué la faillite d’une chambre de compensation de Hong Kong, avec des effets « dévastateurs » sur le marché.

« Cette [Hong Kong] l’épisode mérite plus d’études qu’il n’en a reçu », a noté Tucker, déplorant la complaisance du secteur financier. « Si cela avait été Londres, Chicago ou New York, cela serait entré dans le folklore de la mémoire politique. »

Aujourd’hui, l’avertissement de Tucker semble prophétique et déprimant, étant donné que les inquiétudes de la Bourse des métaux de Londres concernant les risques de défaut l’ont laissée face à des poursuites potentiellement ruineuses, notamment de la part du fonds spéculatif Elliott Associates.

Chaque grande chambre de compensation devrait connaître cet historique financier, en particulier celle qui appartient à Hong Kong Exchanges & Clearing.

Mais les poursuites judiciaires de cette semaine ont été déclenchées par une décision que le LME a prise le 8 mars d’annuler quelque 4 milliards de dollars de transactions, à la suite d’une hausse de 250% du prix du nickel en deux jours.

Le LME dit avoir fait cela parce que le marché était devenu « désordonné », sans expliquer ce que cela signifiait. Il faut espérer qu’un prochain rapport de la Banque d’Angleterre et de la Financial Conduct Authority du Royaume-Uni fournira des détails.

Cette saga fait mal paraître toutes les personnes impliquées – la direction de LME (qui était apparemment complaisante face aux risques de défaut), les régulateurs (qui dormaient au volant) et les propres membres de la bourse (qui ont bloqué les réformes commerciales dont ils avaient cruellement besoin l’année dernière).

Comment la City de Londres en est-elle arrivée à ce triste état ? Les faits bruts sont les suivants : il y a un an, me dit-on, les commerçants d’Elliott ont commencé à parier que les prix du nickel augmenteraient en raison des tensions de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, cela s’est produit. Ensuite, les prix du nickel ont grimpé en flèche lorsque le magnat derrière Tsingshan Holding Group, le premier groupe chinois d’acier inoxydable, a dû acheter des contrats pour compenser des positions courtes massives sur le marché de gré à gré.

Au matin du 8 mars, les prix du marché et les tensions étaient si extrêmes que les joueurs du côté gagnant des mouvements avaient amassé environ 1,3 milliard de dollars de bénéfices sur papier en seulement deux jours (dont plus de la moitié auraient été dévolus à Elliott). Mais les perdants étaient les petits commerçants et le fondateur de Tsingshan, Xiang Guangda, qui avait de gros prêts aux banques chinoises et à JPMorgan.

De gros appels de marge se profilaient, et s’il y avait eu une série de défauts de paiement, LME Clear n’avait qu’un fonds de réserve ridiculement petit d’environ 1 milliard de dollars dans lequel puiser. Mais le 8 mars, le LME a suspendu les transactions et a ensuite annulé les transactions de la journée. Cela a sauvé LME Clear, le magnat chinois (et ses prêteurs) et les petits membres de la bourse, mais cela a également anéanti les bénéfices putatifs du fonds spéculatif.

Le LME tente maintenant de compenser les dégâts. Il a introduit des limites quotidiennes de mouvement de prix, doublé la taille du fonds par défaut de LME Clear et exige plus de transparence de la part des banques concernant les positions de gré à gré.

Ces réformes sont sensées, quoique désespérément tardives. Mais ils ne suffiront peut-être pas à rétablir la confiance. Après tout, comme le souligne la poursuite d’Elliott, les actions du LME en mars semblent si capricieuses que, au mieux, elles puent la panique et, au pire, le favoritisme pur. Ce qui, bien sûr, sape la prétention de la ville à faire respecter l’état de droit et des règles du jeu équitables.

Cet argument ne signifie pas qu’Elliott et les fonds triompheront nécessairement devant les tribunaux. Ils sont confrontés à un défi de taille puisque la charte fondatrice du LME semble lui donner le droit d’annuler les transactions, et que le droit anglais offre aux bourses une certaine protection contre les actions en responsabilité délictuelle (c’est pourquoi les justiciables utilisent plutôt un mécanisme de contrôle judiciaire).

De plus, Elliott a peu de chances de gagner beaucoup de sympathie auprès de l’opinion publique britannique. Le hedge fund est notoirement agressif et avide de profits.

De plus, de nombreux non-banquiers sont susceptibles de se sentir mal à l’aise face au fait que les marchés des matières premières sont devenus si enclins à la « financiarisation » ces dernières années, façonnés par des spéculateurs plutôt que par des acteurs de l’économie réelle.

Ironiquement, les dirigeants du LME eux-mêmes se sont également inquiétés de cette tendance, tout comme le gouvernement chinois (ce qui est une autre histoire).

Mais même si le fonds spéculatif perd sa demande d’indemnisation, cela ne supprimera pas le besoin de réponses urgentes à certaines questions cruciales. La City de Londres croit-elle toujours en des règles du jeu équitables ? Ses régulateurs et ses dirigeants financiers peuvent-ils gérer raisonnablement les risques autour des chambres de compensation, ou quoi que ce soit d’autre ? Est-ce que quelqu’un lit même des livres d’histoire?

Et si Elliott gagne réellement son procès, les questions ne feront que monter. Le LME va-t-il s’effondrer sous les demandes d’indemnisation ? Les justiciables prendront-ils alors le contrôle du LME ? Ou le HKEX aux poches profondes va-t-il le renflouer? Que pourrait faire Pékin ? L’histoire financière pourrait être sur le point de prendre une tournure intrigante et alarmante.

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