La Coupe du monde du Qatar est un festival de cosmopolitisme, pas de nationalisme


J’ai passé des années à écrire sur la montée du nationalisme. Trump, le Brexit, Poutine, Bolsonaro et les autres étaient censés être une réaction contre la mondialisation que seules les « élites » appréciaient encore. Puis est venue cette Coupe du monde, et tout le monde s’est emparé d’un choc des civilisations. Les Occidentaux se sont opposés aux mauvais traitements infligés par le Qatar aux travailleurs migrants et aux personnes LGBT+. Les Arabes nous traitaient de racistes hypocrites. Nous voulions porter des brassards OneLove. Certains fans arabes portent des brassards « Free Palestine ». Bref : nationalisme, haine et incompréhension partout.

Tout cela rend la participation à cette Coupe du monde déroutante. Je passe 16 heures par jour autour de Doha et dans les stades, témoin d’un monde différent. En gros : les civilisations s’entendent bien. La Coupe du monde est plus une fête du cosmopolitisme que du nationalisme. Pour citer le slogan incroyablement ringard mais peut-être correct de la Fifa : « Le football unit le monde ».

La plupart des fans ici sont des touristes de football aisés, de partout de Dubaï à Durban, soutenant souvent plusieurs équipes. Mais même parmi la minorité qui soutient résolument son pays, la courtoisie tient. Dans une voiture de métro typique lors du premier tour, vous avez vu des fans masculins saoudiens entassés avec des groupes mixtes d’Iraniens et de Mexicains chantant, regardés avec bienveillance par des Anglais au crâne rasé, chacun filmant tout le monde sur son téléphone. Des femmes en hijab intégral se mêlent à des femmes en short. Les Brésiliens se mêlent aux Argentins. Les gens ne sont pas seulement tolérants envers la différence religieuse. Ils tolèrent de respirer l’odeur corporelle de quelqu’un et d’écouter leurs messages vocaux sur haut-parleur à 1h du matin dans une voiture bondée après que leur propre équipe ait perdu.

La principale fracture civilisationnelle ici est la taille : les fans des pays riches semblent mesurer en moyenne une tête de plus que ceux des pays du Sud. Mais ces derniers sont, par définition, issus de leurs élites nationales. L’exclusion à cette Coupe du monde est de classe : les seuls pauvres ici sont les travailleurs migrants qui nous poussent dans les trains.

Je me souviens de moments plus conflictuels. Lors de ma première Coupe du monde en Italie en 1990, les deux officiels d’un minuscule poste frontière à la frontière franco-italienne ont d’abord refusé de me laisser entrer, moi et mes amis : nous étions de jeunes Anglais, donc nous devions être des hooligans. Pendant de nombreuses années, chaque ville où l’Angleterre a joué est entrée dans un confinement terrifié. Un collègue du FT, qui couvrait le hooliganisme à Toulouse en 1998, s’est spontanément transformé en policier en criant à un Anglais qui donnait un coup de pied dans une voiture française : « Pourquoi tu fais ça ? » « Ils sont français, en plus », a expliqué le voyou. « Vous êtes en France ! mon collègue a révélé, en vain. Ici à Doha, personne ne tente de séparer les supporters rivaux. Les policiers turcs, jordaniens et pakistanais engagés par le Qatar pour le tournoi semblent passer leurs journées à montrer la voie.

La tolérance règne aussi chez nous. Dans de nombreux pays, les matchs de la Coupe du monde sont devenus la plus grande expérience nationaliste partagée, à en juger par les chiffres d’audience de la télévision. Ces 11 jeunes hommes en chemises en polyester sont la chair faite par la nation. Pourtant, quand ils perdent, la nation se couche tranquillement. Le lendemain matin, après quelques gémissements sur la chaîne Slack à propos du manager de l’équipe, tout le monde passe à autre chose.

Les joueurs partagent le même esprit. Il y a quarante ans, des matches comme France-Allemagne de l’Ouest ou Pologne-URSS évoquaient des passions nationales qui transcendaient le football. La génération Z d’aujourd’hui traite ses adversaires comme des collègues. Après que les États-Unis aient éliminé l’Iran, des joueurs américains – dont Timothy Weah, fils du président du Libéria – ont consolé les Iraniens en pleurs. La grande exception en colère a été Serbie-Suisse, qui a brièvement éclaté en bagarres divertissantes sur le terrain après que Granit Xhaka, un joueur suisse d’origine kosovare, ait provoqué des adversaires serbes. Mais lorsque le match s’est terminé par l’élimination de la Serbie, un autre Suisse-Kosovar, le brillant Xherdan Shaqiri, s’est dandiné autour du terrain en étreignant les Serbes. Les Uruguayens ont fait leur sortie rituelle enragée, blâmant les arbitres, mais les conflits les plus houleux ici étaient entre les joueurs belges.

Après 56 matches, il n’y avait eu que deux cartons rouges : l’un pour le gardien gallois pour avoir stoppé illégalement une attaque, et l’autre magnifiquement pour le Camerounais Vincent Aboubakar, l’une des lumières de cette Coupe du monde. Il avait déjà reçu un carton jaune lorsqu’il a marqué le vainqueur de dernière minute contre le Brésil (OK, le deuxième 11 du Brésil) et a enlevé son maillot, ce qui a été qualifié de célébration illégale. L’arbitre a souri, lui a tapoté la tête, puis l’a expulsé en s’excusant. Aboubakar le salua amicalement et se mit à courir.

À la fin du tournoi, je m’attends à ce que le président de la Fifa, Gianni Infantino, proclame, avec une raison quelconque, « C’était la meilleure Coupe du monde de tous les temps. » L’Arabie saoudite tirera alors probablement parti du succès du Golfe en lançant sa candidature, avec l’Égypte et la Grèce, pour accueillir la Coupe du monde 2030. Si l’Occident a du mal à avaler le Qatar, bonne chance avec l’Arabie saoudite.

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Vidéo : L’héritage du Qatar en Coupe du monde | Tableau de bord FT





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