La catastrophe en Libye montre un manque de gouvernance de base

Il a fallu un certain temps la semaine dernière pour que le reste du monde se rende compte qu’une catastrophe encore plus grave s’était produite dans la ville portuaire de Derna, dans l’est de la Libye, que le tremblement de terre survenu au Maroc deux jours plus tôt. Un ouragan et des précipitations exceptionnellement fortes ont entraîné l’effondrement de deux barrages près de Derna. Un gigantesque raz-de-marée emporte alors un quart de la ville.

Ce n’est qu’avec hésitation que l’aide est arrivée. L’accès à Derna était en partie bloqué, mais un facteur tout aussi important était la rivalité paralysante entre les deux gouvernements que connaît la Libye depuis des années. Le pays est aux mains de milices rivales, soucieuses avant tout de leurs propres intérêts. Les milices de l’ouest soutiennent le gouvernement d’unité nationale à Tripoli dirigé par le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah, qui est reconnu par l’ONU et la plupart des pays. Le général Khalifa Haftar règne à l’Est. Les deux gouvernements sont en guerre l’un contre l’autre.

Même sous le long règne du colonel Moammar Kadhafi (1967-2011), imprévisible et impitoyable, la Libye, riche en pétrole, n’était certainement pas un modèle de bonne gouvernance. Mais après sa chute en 2011, sur la vague du « Printemps arabe » et grâce au soutien occidental, la situation s’est tellement détériorée que certains Libyens se souviennent avec nostalgie de l’ère Kadhafi.

Le gouvernement de Tripoli reçoit le soutien militaire et financier, entre autres, de la Turquie et du Qatar, de Haftar russe (Brigade Wagner), de l’Égypte et des Émirats arabes unis. L’Occident a surtout regardé les événements survenus depuis 2011 en secouant la tête et s’est limité à des exhortations à enterrer la hache de guerre et à organiser des élections. Le seul point sur lequel l’UE souhaitait sérieusement faire affaire avec les autorités libyennes était l’arrêt des demandeurs d’asile.

Les divisions politiques jouent un rôle important dans l’aide apportée à Derna. Les deux gouvernements coopèrent difficilement. Les transports de médicaments et de nourriture de Tripoli à Derna se sont parfois heurtés à la résistance de Haftar et de ses hommes, qui ont préféré prendre en main les secours.

La catastrophe illustre à quel point la situation est devenue désespérée en l’absence même d’une gouvernance de base. C’est peut-être même une conséquence de cela. Après tout, on savait depuis des années que les barrages brisés nécessitaient un entretien urgent. De l’argent avait même déjà été mis de côté à cet effet, mais des fonctionnaires corrompus, qui ne pensaient devoir rendre de comptes à personne, l’ont dépensé pour d’autres choses, probablement plus rentables pour eux-mêmes. Un problème dont souffre également l’ouest de la Libye.

Les milliers de citoyens morts ne peuvent plus protester contre une telle mauvaise gestion. Des centaines de survivants l’ont fait lundi à Derna. Ils ont exprimé leur colère contre ceux au pouvoir, qui imputaient le désastre à la nature et non à leur échec. Une telle démonstration demande du courage, car Haftar est connu pour être quelqu’un qui s’attaque durement aux critiques.

De nombreux Libyens se sentent également abandonnés par les pays étrangers. L’aide de la Russie, de la Turquie et d’autres pays n’a fait qu’empirer la situation en Libye. Et l’attitude passive de l’Europe et des États-Unis, qui n’aspirent pas à de nouvelles aventures militaires, n’a fait aucun progrès. Bien entendu, l’Europe peut exercer davantage de pression sur ses rivaux en Libye elle-même et sur les pays qui perpétuent le chaos actuel dans ce pays, par exemple au moyen de sanctions économiques. Mais aussi triste que cela puisse être, même cela ne ferait pas grand-chose pour aider les Libyens en difficulté pour le moment.



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