La cachette de Messina Denaro dans la ville abusive aux rues sans nom


Elle s’appelle Campobello (Campubeddu en sicilien) mais dans cet appendice de la Sicile la beauté a été et reste attaquée. Et c’est la laideur du désordre urbain, de la violation des droits, de l’intimidation de la mafia qui a pris et prend souvent le dessus. Environ dix mille habitants, quatre communes, une économie basée sur l’oléiculture : voilà, dans une définition synthétique, Campobello di Mazara dans la province de Trapani. Élargir le regard, cependant, c’est bien plus : un paradigme des distorsions d’un pays coudé par la mafia et la pègre. Une terre au grand potentiel (du pétrole au vin, en passant par le tourisme) transformée par des criminels en terre de conquête et par des citoyens malhonnêtes en lieu de pillage et d’exploitation sans règles.

La cachette de Matteo Messina Denaro, pour ainsi dire, est située dans la Via Cb 31 puis rebaptisée via San Vito, martyr et patron (on peut dire) de tous les habitants de Trapani. En élargissant le regard sur les quatre quartiers de Campobello, on s’aperçoit que cet acronyme (Cb) fait référence à une bonne partie de cette ville, surtout en banlieue : Il y a des rues qui s’appellent simplement Via I, Via H, Via Y et d’autres qui ils vont de Cb 7 vers le haut (Cb 8 etc.). La toponymie des usages non autorisés est une science exacte et on en trouve ici une représentation claire : ce sont surtout les rues périphériques qui ont ces dénominations mais aussi, comme on l’a vu dans le cas de la planque de Matteo Messina Denaro, certaines rues du centre.

Dans ces parties, l’utilisation non autorisée est une constante : voyez le destin (cruel) de Tre Fontane, un village balnéaire et hameau de Campobello di Mazara, où il y a un cluster de bâtiments jamais achevés ou mal achevés avec des rues qui ont des acronymes anonymes : TF1 , TF2, TF3, etc. ou simplement 114 Ouest ou 113 Ouest. Les plus chanceux sont ceux qui ont construit face à la mer. En 2011, le maire de l’époque, Ciro Caravà, plus tard reconnu coupable de mafia alors que la municipalité a été dissoute pour la même raison, s’est retrouvé à se réjouir car il avait trouvé un moyen de réparer 800 maisons construites le long des huit kilomètres de la magnifique côte au sud de Trapani. Caravà (aujourd’hui décédé) a ensuite été reconnu coupable d’avoir des relations avec Leonardo Bonafede, membre du clan local et parent de cet Andrea Bonafede (le vrai) qui a pris l’appartement acheté à Messina Denaro à son nom pour se cacher.

De cette enquête, il ressort que selon les enquêteurs, la famille mafieuse de Campobello di Mazara aurait entretenu un lien étroit avec Matteo Messina Denaro et, « par un contrôle omniprésent du territoire », aurait réussi à « infiltrer progressivement le milieu entrepreneurial et activités économiques de la région ». Une constante, semble-t-il, jusqu’à lundi. Aujourd’hui, nous pouvons dire que Campobello di Mazara est certainement la ville du complice et du chauffeur personnel du patron Giovanni Luppino, qui a également fini menotté. Mais c’est le pays du patron Francesco Luppino, loyaliste de Matteo Messina Denaro, arrêté en septembre dernier par les hommes du Département opérationnel de Trapani dirigé par le colonel Andrea Pagliaro.

Sans oublier, encore une fois, le scandale des camps de migrants de Campobello di Mazara et de Castelvetrano, à quelques kilomètres l’un de l’autre. Plus d’un millier de personnes y vivent, marginalisées et destinées à l’être encore plus. Campobello est autorisé pour 250 personnes mais beaucoup plus arrivent, notamment en période de récolte des olives, avec une prolifération de champs illégaux sur tout le territoire.



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