TInterrogé par un jeune belge lors du Festival mondial de la jeunesse à Sotchi, dans le sud de la Russie, Poutine a répondu avec une certaine désinvolture : « La Belgique, d’ailleurs – vous le savez probablement – est apparue sur la carte du monde, notamment grâce à la Russie et à sa position. en tant qu’État indépendant ».
Cependant, avec sa déclaration, Poutine donne un tournant à l’histoire en faveur de la Russie. Parce que c’est le contraire qui est vrai. C’est le tsar russe Nicolas Ier – surnommé « le gendarme de l’Europe » – qui s’est rangé du côté du Royaume-Uni des Pays-Bas lors du déclenchement de la révolution belge en 1830, contre la tentative belge de sécession. La Russie voulait même envoyer des troupes pour réprimer le soulèvement.
Cette démarche était conforme à l’objectif de Nicolas de soutenir autant que possible les monarchies au pouvoir en Europe, contre les tentatives révolutionnaires qui pourraient également prendre pied dans l’Empire russe. Les liens familiaux ont également joué un rôle : la sœur de Nicolas, Anna Paulowna, était mariée au prince héritier des Pays-Bas Guillaume II, fils du roi Guillaume Ier.
Nicolas envisagea donc d’envoyer des troupes russes dans notre région pour aider Guillaume Ier à réprimer le soulèvement. Dans le même temps, il pourrait également, si possible, intervenir contre la Révolution française de juillet 1830, au cours de laquelle le monarque absolu Charles X fut destitué.
Pologne
Cependant, les plans du tsar furent contrecarrés par le soulèvement polonais de novembre 1830 contre la domination russe, qui eut lieu à peu près simultanément avec la révolution belge. Les régiments russes déjà stationnés en Pologne pour avancer vers la Belgique avaient soudain les bras chargés.
Finalement, la Russie reconnut l’indépendance de la Belgique lors de la Conférence de Londres à la fin de 1830, alors qu’elle se retrouvait seule face aux quatre autres grandes puissances européennes : la France, le Royaume-Uni, la Prusse et l’Autriche.
La figure du roi Léopold Ier était également importante, explique l’historien Herman Van Goethem (Université d’Anvers). « Il incarnait la neutralité belge et l’équilibre des pouvoirs européen à partir de 1815 : il était un prince allemand, veuf d’une princesse héritière britannique et son beau-frère était un frère du tsar russe. Poutine fait peut-être référence à ce lien familial avec la Russie pour expliquer la bonne volonté de la Russie envers l’indépendance de la Belgique. Mais l’histoire est bien plus complexe. »
Ce n’est qu’en 1839 que les Pays-Bas acceptèrent eux-mêmes l’indépendance de la Belgique. Même si nous devons cette indépendance davantage aux Polonais qu’aux Russes.
Euroclear
Ce n’est peut-être pas une coïncidence si la déclaration de Poutine se concentre pour l’instant sur la Belgique. Depuis un certain temps déjà, l’Occident débat de la manière dont il pourrait utiliser les 270 milliards d’euros d’avoirs russes gelés au profit de l’Ukraine. Une grande partie de cet argent est située à Bruxelles, dans la chambre de compensation d’Euroclear.
L’année dernière, la Belgique a pu mettre de côté 625 millions d’euros pour l’Ukraine grâce aux recettes fiscales provenant des intérêts sur les avoirs gelés qui y sont investis. Conjugué au fait que la Belgique abrite le siège de l’Union européenne et de l’OTAN, cela fait de notre pays une cible idéale pour la Russie.
Ce n’est pas non plus la première fois que Poutine suit un cours plutôt libre avec l’histoire. L’invasion de l’Ukraine est également justifiée par des affirmations très discutables selon lesquelles ce pays n’a en réalité aucun droit à l’existence et fait historiquement partie de la Russie.