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L’auteur est rédacteur en chef du FT et rédige la newsletter Chartbook

La ligne d’attaque des républicains est prévisible : Kamala Harris était la tsar des frontières de Biden. La crise à la frontière avec le Mexique montre qu’elle a échoué. La réponse des démocrates est tout aussi prévisible : non, la vice-présidente n’a jamais été responsable de la frontière. Son rôle était de s’attaquer aux causes profondes de l’immigration en provenance du Salvador, du Guatemala et du Honduras. Personne ne peut lui reprocher son échec. C’était une mission impossible.

Ce qui est frappant dans cette réponse, ce n’est pas qu’elle soit déraisonnable, mais qu’elle place la barre très bas. Alors que pour les républicains, le désespoir en Amérique centrale est une raison pour fermer encore plus fermement la frontière, pour les démocrates, la nature profondément enracinée de ces problèmes est une excuse. Apparemment, personne ne s’attend à ce que Harris ou qui que ce soit d’autre réussisse à résoudre le problème de la pauvreté et de l’insécurité dans la région. Haussant les épaules, les États-Unis s’installent dans une polycrise à leurs portes.

Il ne faut pas en conclure que l’adoption de meilleures politiques est chose facile. Les problèmes qui entravent le développement en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Amérique centrale sont profonds. La région est confrontée à de profondes inégalités, à des défaillances institutionnelles, à la corruption, au crime organisé et à de faibles niveaux d’éducation et de santé publique. Tout cela dans des économies fragiles, axées sur les matières premières et exposées au changement climatique.

Mais l’objectif n’est pas de parvenir à une convergence totale. Un effort sérieux pour s’attaquer aux « causes profondes » ne viserait qu’à sortir les couches les plus pauvres de la société de la misère absolue. Lorsque la classe politique américaine hausse les épaules, elle renonce à la possibilité même de ce modeste niveau de progrès.

Le fait que la richesse américaine soit à la fois inaccessible et une partie du problème n’arrange rien. Ce sont les États-Unis qui fournissent le marché aux trafiquants de drogue. C’est l’échec grotesque de Washington à réglementer même les fusils d’assaut de qualité militaire qui fournit l’armement. Les sanctions américaines contre Cuba et le Venezuela exacerbent les tensions sans offrir de véritables portes de sortie.

Fondamentalement, il existe une profonde lassitude politique. Tout le monde aux États-Unis sait qu’il faudrait un effort politique considérable pour persuader le Congrès d’allouer des fonds importants au développement de l’Amérique latine.

La stratégie de Harris pour « s’attaquer aux causes profondes » a été financée à hauteur de 4 milliards de dollars sur quatre ans. Pour faire face à l’ampleur des problèmes en Amérique centrale, sans parler du Venezuela, c’est une bagatelle. En suivant la recette du financement mixte, Harris a multiplié ces fonds publics par 5,2 milliards de dollars d’investissements privés axés sur l’industrie manufacturière, Internet et l’autonomisation des femmes. Tout cela est une bonne chose. Mais l’investissement privé est un mécanisme lent pour répondre aux crises sociales et économiques aiguës.

Trump a réduit les dépenses d’aide à la région. Biden les a rétablies, mais à des niveaux équivalant à la moitié, en termes réels, de ce que les États-Unis ont dépensé en Amérique latine et dans les Caraïbes dans les années 1960. Et cela ne permet pas de faire croître le PIB dans l’intervalle.

Bien sûr, les dépenses de la guerre froide ont été désastreuses : elles ont alimenté les régimes militaires et attisé la violence politique. Mais au moins, à l’époque, les États-Unis estimaient qu’ils avaient un intérêt existentiel dans la région. Aujourd’hui, la concurrence avec la Chine suscite parfois un regain d’intérêt, mais c’est surtout dans les grandes économies d’Amérique du Sud, bien loin de la crise des pays de l’isthme, que cela se produit.

Les images d’enfants migrants enfermés dans des cages suscitent une panique morale. Mais sans le cadre historique plus large de la guerre froide et les visions panaméricanistes du début du XXe siècle, ce qui reste est une acceptation plus ou moins cynique du statu quo. Des millions de migrants clandestins sont absorbés par la main-d’œuvre américaine, représentant plus de 5 % de tous les emplois, en particulier dans le bâtiment et les services bas de gamme. Le vide juridique est le prix que les migrants paient pour une amélioration de leurs conditions de vie. Dans la mesure où ils affectent le marché du travail, ce sont surtout les autres migrants récents qui sont confrontés à la concurrence.

En tant que modus vivendi, cette approche est infiniment préférable à une répression draconienne de l’immigration. Mais elle équivaut à une abdication du leadership régional et à une condescendance institutionnalisée. L’Amérique centrale est en effet considérée comme sans espoir. Cela contraste fortement avec les déclarations audacieuses de Washington sur son rôle dans la lointaine Asie. Cela contraste également fortement avec les visions d’une Amérique meilleure promises par la politique de Biden.

On ne peut qu’espérer que si Harris remporte la présidence, elle se lancera dans le type de politique ambitieuse pour le voisinage immédiat de l’Amérique qu’elle n’a pas pu ou voulu promouvoir lorsqu’elle était vice-présidente.



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