Jockstrap / Je t’aime Jennifer B


Les noms de groupes sont définitivement dépassés, mais pas l’imagination dans le monde de la pop. Jockstrap en est un exemple. Le duo londonien, composé de la chanteuse/violoniste Georgia Ellery (également membre de Black Country, New Road) et du producteur Taylor Skye, va aussi loin que possible. Ses oeuvres offrent une écoute hyperactive où de la bande originale de Disney il passe à la bossa, et la bossa au dubstep, et celle-ci à la Motown, et celle-ci à la techno, et celle-ci à mille autres choses, et ainsi de suite, sans que personne n’attende quoi sera le prochain

Oui, il y a un fil conducteur dans la musique de Jockstrap, et c’est la rupture des attentes. Ses chansons peuvent sembler familières et classiques, surtout lorsqu’elles intègrent des arrangements orchestraux, mais il se passe toujours quelque chose en elles qui perturbe cette familiarité. Dans ‘I Love You Jennifer B’, ses débuts officiels, le sentiment de surprise, que l’on est face à une œuvre imprévisible, est constant.

Il y a le « Neon » initial, qui commence comme une chanson acoustique de Scoutt Niblett et se termine englouti dans un enchevêtrement brutal de rythmes électroniques et de distorsion. Ou la chanson-voyage ‘Concrete Over Water’, qui va de la chansonnette d’Audrey Hepburn (qui est facile à imaginer chanter ses paroles romantiques) à la terreur du cirque, et de là à avant. Mais la surprise se trouve aussi dans les détails, dans un orgue qui sonne ivre et mal joué, dans une production lo-fi qui ne devrait pas l’être, dans une voix aiguë et accélérée sans signification apparente, dans des percussions qui se font plus rares car ils en ont envie. La musique de Jockstrap est gratuite, elle offre le revers de la médaille, ou la partie négative de la photo. tu sais que c’est mauvaismais vous l’appréciez parce que c’est différent.

Le langage sonore de Jockstrap implique une intention perturbatrice. Ainsi, la cacelorada de ‘Greatest Hits’, un festin d’influences qui vont du hip-hop des années 80 à la bloghouse en passant par ‘Borderline’ de Madonna, sonne produit comme si elle sortait littéralement d’une « boombox » de l’époque. Le son est sale mais, en même temps, extrêmement exquis. On peut en dire autant de la bangra lo-fi de ‘Jennifer B’, qui invite à faire un « strip-tease »… plus ou moins ; et bien sûr la séquence ne peut plus contenir de surprises, quand de la ballade vertueuse à la Skeeter Davis de ‘What’s It All About’, dédiée à une amitié, on passe à la complainte de harpe de ‘Angst’, et de là au cornichon bollywoodien de ‘Debra’, et de là au folk pastoral de ‘Lancaster Court’, et de là au remix prolongé de ’50/50′, la production la plus techno de Jockstrap.

Quand le duo londonien affirme que ‘I Love You Jennifer B’ est une compilation de chansons plutôt qu’un album en soi, impossible de ne pas être d’accord. En fait, nombre de ses titres sont classés chronologiquement selon leur date de composition, et « Glasgow », le tube le plus accessible de l’album en raison de sa pop de chambre à la Belle et Sébastien, guidé par de merveilleuses guitares, apparaît vers le fin de la séquence alors qu’elle devrait être au début. Mais même une séquence absurde peut avoir un sens dans l’univers Jockstrap. Comment unifier un tel méli-mélo de styles et d’influences ? Je ne suis pas sûr que Jockstrap ait réussi, mais l’album contient un degré considérable de talent et d’imagination… cela ne fait aucun doute.



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