J’ai une règle quand je vais dîner : je ne pose pas de questions sur la nourriture, tout comme je ne pose pas de questions sur la politique. C’est ma façon de ne pas saboter le dîner de mon invité


Antonella Baccaro (photo de Carlo Furgeri Gilbert).

« NonNous ne pouvons pas séparer le goût de la morale. Tout ce que nous mangeons a un sens dans le monde. Vous dire « j’aime les carottes bio », c’est vous dire pour quoi je vote».

Comme il a raison Adam Gopnikécrivain sagace du New yorkais. Ça a dû vous arriver aussi de vous inviter à dîner et de vous retrouver devant un fouillis de veto. « Je ne mange pas de viande, désolé », « Je ne dîne pas après 18 h, merci », « Pour moi, uniquement des légumes bio, vous pouvez ? ».

Je peux. Je peux tout faire : je suis coeliaquej’ai dérangé la moitié du monde avant de comprendre que la mienne, qui est une maladie, doit être déclarée à temps, pour ne pas gêner l’invitant.

Je l’ai compris un soir, en allant dîner chez un couple très sympa à qui j’aurais pu facilement faire part de mon problème. Je ne l’ai pas fait. La dame a exécuté toutes sortes de pâtes frites et farcies: merveilleux. Il n’y avait même pas le joker auquel je m’accroche : la salade. La patronne, rougissant jusqu’aux oreilles, m’a ouvert une boîte de thon et me l’a servi avec des cacahuètes.

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Depuis, quand j’invite, je demande : « Avez-vous des préférences ? Êtes-vous au régime? Voulez-vous apporter de la nourriture de chez vous ? ». Oui, c’est aussi désormais autorisé : glisser un paquet de pain sans gluten ou une boîte de riz bouilli dans son sac a sauvé bien des dîners. Le fait est que cela ne suffit plus.

La question n’est pas seulement pratique, comme le prévient Gopnik : c’est une question politique. Essayez de préparer un rôti de porc et de servir un plat séparé au végétarien. Une vague de givre accompagnera l’arrivée de la viande à table et restera dans l’air jusqu’à ce que la nourriture soit consommée de manière barbare.

Entre le végétarien et le carnivore la distance est philosophique et elle se manifestera bientôt par une confrontation verbale qui, partant peut-être de la nourriture, mènera à la politique, à la religion et Dieu sait quoi d’autre.

Alors j’ai une règle quand je vais dîner : je ne pose pas de questions sur la nourriture, tout comme je ne pose pas de questions sur la politique. C’est ma façon de ne pas saboter le dîner de mon invité.

Je suis né dans un monde où la nourriture était joie et union. Je souffre de voir qu’aujourd’hui est une raison de plus de nous diviser. Mais au moins maintenant tu sais que tu peux m’inviter à dîner. Je viendrai en paix (mais je ne mange pas de poisson cuit).

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