Inconnu et pourtant dans le canon flamand : pourquoi ces quatre noms méritent leur place


Nul besoin de « dessiner » dans le canon flamand : Reynaert de Vos, Notre livre de cuisine ou Rock Werchter. Ces quatre nobles inconnues de la liste méritent sans doute quelques explications.

Michel Martin

1. Le moulin à vent de Wormhout

Moulin à vent de Wormhout.Vd image

Wormhout n’a pas l’air très sexy, et ce n’est même pas en Flandre aujourd’hui – c’est en Flandre française – mais le village s’affiche fièrement en 1183 dès la toute première mention écrite d’un ‘molendinum ad ventum’ dans un acte du comte de Flandre. Un moulin à vent, donc, une innovation dans l’agriculture qui s’avérera être un moteur de prospérité et de croissance démographique dans les siècles suivants.

Selon Lieven Denewet (Molenzorg Vlaanderen), le pays flamand des moulins à vent se lit comme les cernes d’un arbre. « L’évolution du parc de moulins dessine bien l’histoire de cette région à cette époque, qui a connu des périodes de richesse mais aussi de destruction. » Le fait que les Pays-Bas aient pu lier l’énergie éolienne à des applications industrielles au cours de l’âge d’or est en partie dû au savoir-faire flamand qui s’est déplacé avec lui lors de la vague migratoire du XVIe siècle.

« Aujourd’hui, nous pouvons compter nos meuniers professionnels sur une seule main », déclare Denewet. La Flandre compte encore plus de 300 moulins à vent traditionnels, dont les deux tiers sont protégés en tant que patrimoine. Récemment, cette protection est tombée pour une poignée de moulins, dont le moulin Machuut à Lo-Reninge. « Un moulin entièrement équipé est ainsi abandonné, ce qui est bien dommage », déplore Denewet, qui espère que cette canonisation donnera le vent aux moulins. Eh bien, dans les coulisses.

2. Le ‘livre de chœur de Malines’

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Le ‘livre de chœur de Malines’Vd image

Pas un livre de cuisine, non, un « livre de chœur » qui a été réalisé vers 1515 dans l’atelier de Petrus Alamire à Malines. « Peut-être le plus beau d’une série de manuscrits musicaux conservés de la période automnale du Moyen Âge », déclare Stratton Bull de la Fondation Alamire. Derrière la belle couverture en cuir se cache une tout aussi belle partition avec de la musique polyphonique, dans laquelle plusieurs mélodies s’entremêlent.

À cette époque, les compositeurs et interprètes d’au-dessus et d’en-dessous de la frontière linguistique actuelle étaient un produit d’exportation comparable à Stromae ou Angèle. « Ils étaient vraiment la pièce maîtresse d’une époque musicale », dit Bull, qui chante lui-même les sept messes latines polyphoniques dans le Livre de chœur de Malines déjà effectué. « La façon dont les mélodies sont entrelacées dans un ensemble complexe est délicieuse, c’est une sorte de puzzle mathématique qui apporte beaucoup de plaisir non seulement par l’émotion mais aussi par la raison. »

L’inclusion dans le canon flamand est appropriée pour plusieurs raisons. Un exemple de composition polyphonique est le canon – pensez « Brother Jacob ». De plus, le livre de chœur a (probablement) été offert en cadeau à l’empereur des Habsbourg Charles Quint. « En plus de la valeur culturelle du livre de choeur, il y a aussi un aspect de propagande politique », explique Bull. Nous répétons : très approprié.

3.Paul Panda Farnana

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Paul Panda Farnana.Vd image

Le canon essaie consciemment d’aller au-delà de la perspective masculine blanche. Par exemple, des femmes comme Emilie Claeys ou Marie Belpaire se voient attribuer un rôle de premier plan dans l’histoire de l’émancipation, et l’histoire coloniale est introduite par un personnage clé inconnu : Paul Panda Farnana, l’un des premiers Congolais hautement éduqués en Belgique.

Farnana a grandi en Belgique, a expérimenté au Congo en tant qu’ingénieur agronome comment le racisme, l’exploitation et la violence ont donné le ton de la politique coloniale, a combattu du côté belge pendant la Première Guerre mondiale et a ensuite fondé l’Union congolaise (1919). En tant que voix de l’opposition, il a soulevé des questions importantes sur l’administration coloniale et la « mission de civilisation » unilatérale, tant au Congo qu’en Belgique.

« Il est tout à fait remarquable qu’il ait reçu si peu de reconnaissance dans l’histoire coloniale pendant longtemps, un peu comme s’il était passé sous silence », note Salomé Ysebaert (AfricaMuseum). L’inclusion dans le canon peut-elle alors faire partie d’une sorte de processus de guérison ? « Le fait qu’il y aura plus de place pour une histoire polyphonique est certainement un pas en avant. »

Selon Ysebaert, la personne de Farnana constitue également une passerelle idéale vers d’autres histoires qui éclairent la perspective congolaise. « Beaucoup de gens pensent encore qu’il y a eu peu de résistance de la part des Congolais, mais il y en a eu. »

4. Les Géants de Borgerhout

Les géants de Borgerhout Image SASKIA VANDERSTICHELE

Les géants de BorgerhoutSculpture SASKIA VANDERSTICHELE

Le cortège géant de Borgerhout ne doit pas forcément sa place dans le canon à son histoire, qui remonte à 1712. A quoi donc ? À la transformation frappante de l’événement folklorique, le texte se lit. C’est un excellent exemple de la façon dont le patrimoine traditionnel peut également être enraciné dans une Flandre diversifiée.

« Nous considérons notre patrimoine comme un moyen de travailler à l’édification de la communauté », déclare le président Koen Lamberts. Le tournant s’est produit il y a une dizaine d’années. La bombe pour le bain appelée Borgerhout a été larguée au milieu du cortège géant. Depuis, une centaine de nouveaux géants sont apparus, fabriqués par des organisations locales de marques diverses. Désormais, non seulement un Marc, mais aussi un Rachid ou un Chino ramperont parmi ces géants, et depuis 2012 les femmes sont également admises comme porteuses de géants. « Cela peut sembler fou, mais avant cela, ce n’était vraiment pas fait. »

Lamberts appelle le redressement « une réaffectation », et tout comme avec les bâtiments, cela crée un champ de tension. En plus de la connexion dans le quartier, il y a aussi eu une rupture avec un groupe de transporteurs géants qui n’aimait pas l’innovation. « Cette résistance est toujours là, mais nous sommes convaincus que c’est la bonne façon de faire vivre le patrimoine. » Cette vision a abouti à l’Ultima 2021 pour le patrimoine immatériel.



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