Inaperçu, c’est soudainement devenu ‘la dernière fois’


Il y a des actions qui vont de soi depuis longtemps et puis soudain, sans le savoir, vous avez eu la dernière fois. Où est passé le temps…

Après être devenue mère, j’ai littéralement adoré mon fils. Partout où j’allais, il était. D’abord sur les genoux ou sur le bras, plus tard sur la hanche ou sur les épaules. Et pourtant vint un jour où je le soulevai et le portai pour la dernière fois. Il tape maintenant les deux mètres et je suis loin de ça, donc nous n’allons pas recommencer.

J’ai un souvenir vivace de cet enfant sur mon bras, contrairement à mes dernières règles. D’abord c’était là – coup fixe, parce que sur la pilule – et puis plus. Ce n’était pas quelque chose que j’attendais vraiment avec impatience, mais après presque quarante ans, j’ai regardé en arrière et j’ai pensé : putain, c’était il y a longtemps.

Un jour, j’avais donné naissance à mon dernier enfant, j’avais été enceinte pour la dernière fois, je n’avais plus jamais eu ce ventre qui grossissait ni accouché, plus jamais de tétées nocturnes, faire des collations aux fruits, ne plus jamais lire à haute voix, regarder des dessins animés ensemble, colorier, de l’argile, dans le bain ou à la mini-ferme…

Il est arrivé un jour où j’ai joué à la marelle pour la dernière fois, fait le poirier, fait du vélo les mains libres et fait mes devoirs. Je n’avais plus de cours de géographie, je ne faisais plus mon sac d’école, je n’avais plus de « grosse pause » ni d’examen. Plus d’examens finaux, mais pas de bal des finissants non plus. Plus d’accolades.

Un jour, on ne m’a plus sifflé dans la rue. En raison du mouvement #metoo et de mon âge avancé, le brouillon était déjà dans les intimités souhaitées de toute façon, mais ça me manque un peu. Par contre : ne plus jamais se faire pincer la fesse par des types insistants, c’est encore bien.

Le jour approche où je pourrai me lever pour la dernière fois de ma chaise sans gémir ou laisser tomber quelque chose par terre sans réfléchir, ah, non, hein. Le jour où s’agenouiller ou s’accroupir ne va plus de soi et où je ne saute plus du lit frais comme un violon le matin, mais dois d’abord rouler sur le côté avant de pouvoir hisser mon corps grinçant.

Le jour où j’ai pensé : ‘pourquoi ces lettres sur les emballages/journaux/dépliants d’information deviennent de plus en plus petites ?’ était le jour où hier je n’avais pas besoin de lunettes, mais aujourd’hui j’en ai besoin. Le jour où j’ai vu un cheveu gris et n’était donc pas gris pour la dernière fois. Ou sans plis.

Un jour, j’ai eu mon dernier rapport sexuel et mon dernier baiser. J’espère que d’ici là j’aurai atteint le point où je ne le remarquerai plus moi-même ou que je me serai réconcilié avec le manque de luxure d’ici là. Et le jour viendra où je rendrai mon dernier souffle. Est-ce que je saurai que c’était la dernière fois ?

Bettina (55 ans) est rédactrice en chef en ligne chez Libelle. Elle est mariée, a un fils adulte et un chien. Elle écrit chaque semaine sur sa relation et sa vie (sexuelle).



ttn-fr-46