Images époustouflantes d’une ville qui s’étouffe lentement

Parfois, on reconnaît soudain une image : la femme enceinte emportée sur une couverture à motif fraise après le bombardement de la maternité de Marioupol. Le père qui pleure son fils décédé en jouant au football. Le charnier. Ce sont toutes des images qui sont apparues autrefois aux informations, à une époque où la guerre russo-ukrainienne faisait encore l’actualité quotidienne.

Le correspondant de guerre Mstyslav Chernov et son équipe de l’agence de presse américaine AP étaient les seuls journalistes restés à Marioupol après le siège de la ville portuaire ukrainienne par les forces russes au printemps 2022. Via AP, ils ont fourni au monde des images de la ville qui s’étouffe lentement. Tchernov a parlé de ces semaines anxieuses 20 jours à Marioupol (OBNL2). Cet étonnant documentaire a déjà reçu vingt prix de cinéma et a été nominé pour un Oscar.

Tchernov raconte l’histoire d’une voix douce et calme. On dirait qu’il est toujours au refuge et qu’il ne veut pas réveiller les enfants. Rarement avez-vous pu expérimenter d’aussi près ce que signifie vivre dans une ville sous le feu. Au début c’est calme, Tchernov rencontre une femme qui panique, il la rassure. Rentrez chez vous, asseyez-vous au sous-sol, conseille-t-il, ils n’attaquent pas les civils. Plus tard, il rencontre la femme dans un hôpital, sa maison a été bombardée. Les Russes semblent en effet choisir des cibles civiles.

Ensuite, cela devient plus occupé et plus chaotique. Pendant que la caméra tourne, Tchernov court après les civières qu’on amène à l’hôpital. Il suit un service de collecte qui emmène le défunt vers une fosse commune. Il assiste aux décès des enfants, leur donne un nom et un âge. La maternité bombardée est célèbre. Après cela, il suit les patients dans un autre hôpital où il apprend que la femme enceinte sur la civière et son enfant à naître sont décédés. Une autre femme a un bébé vivant. Il n’y a pas beaucoup de temps pour se réjouir car tout le monde doit quitter la maternité à cause d’une nouvelle crise.

Chanter

Un cobaye en fuite court dans les rues détruites. Un homme traîne ses quelques affaires derrière lui après que sa maison a été touchée : « Ils tirent. Je marche ici. C’est comme ça. » Dans un abri antiaérien, vous voyez des enfants jouer et une femme chanter avec une guitare. A la fin, les chars russes entrent dans la ville. L’équipe AP est relevée par quelques soldats ukrainiens. Avec la caméra en marche, vous les voyez fuir de la voiture au coin de la rue. Il s’agit d’une télévision passionnante et émouvante sans précédent.

Pendant que d’autres cherchent une aide médicale ou un moyen de s’enfuir, Tchernov se rend dans les endroits qui viennent d’être bombardés. Ou bien il recherche un point WiFi où il pourra envoyer ses images à AP. Cela semble être une réflexion après coup quand on vit dans un tel enfer. Mais le correspondant de guerre a une mission : le monde a besoin de le savoir. Parfois, il est découragé : « Nous continuons à filmer. Et tout reste pareil. Mais là encore, il se montre combatif : « Si le monde voyait les horreurs de Marioupol, cela aurait au moins un sens. »

Il est fort possible que ces images aient effectivement contribué au soutien militaire dont a bénéficié l’Ukraine. Ou encore le rapport de Human Right Watch de la semaine dernière qui concluait que la Russie avait commis des crimes de guerre à Marioupol. L’armée russe a bombardé des cibles civiles telles que des hôpitaux et bloqué l’aide humanitaire et les évacuations.

Sonne familier. La guerre en Ukraine a désormais été remplacée dans l’actualité par celle de Gaza. Dans le JT de huit heures le gouvernement israélien a annoncé qu’il attaquerait la ville de Rafah pendant le Ramadan à moins que le Hamas ne libère ses otages. Espérons que des journalistes courageux pourront filmer l’attaque annoncée alors que Tchernov enregistrait la disparition de Marioupol. Personne ne peut donc dire que cela ne s’est pas produit.



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