Il y a une limite au nombre de bébés que l’on peut voir gisant sous les décombres

Joël De Ceulaer est rédacteur senior à Le matin.

Joël De Ceulaer

Si le monde était une boîte de vitesses, ce serait l’inverse. La terreur, la guerre et la souffrance ont toujours existé – mais quiconque faisait un effort pouvait détourner le regard. Cela est devenu plus difficile depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Guerre aux frontières européennes : quiconque nourrit une vision utopique de l’humanité ne la croyait plus possible. Ce qui était encore possible, c’était de croire que les superpuissances occidentales disposaient d’une sorte de boussole morale. Ces jours-ci, cette illusion est détruite par les bombardements à Gaza. Et le monde entier regarde.

Ce qu’a fait le Hamas le samedi 7 octobre est une pure horreur. Malheureusement, la réponse du gouvernement israélien, avec le soutien des États-Unis, l’est également. Il y a une limite au nombre de bébés saignants ou morts que l’on peut voir à moitié ensevelis sous les décombres. Il y a une limite au nombre de sacs mortuaires blancs que l’on peut voir passer, soigneusement disposés les uns à côté des autres, chaque jour. Nouvelles et Journaux. Le cratère laissé par les bombes israéliennes dans le camp de réfugiés palestiniens de Jabalia peut symboliser la disproportionnalité de cette guerre : combien d’innocents pourraient mourir si dommage collatéral pour éliminer un terroriste du Hamas ?

Une guerre a aussi des règles. Celles-ci ne sont pas suivies ici, les organisations internationales des droits de l’homme semblent être d’accord sur ce point. Il doit y avoir un cessez-le-feu, une pause dont Israël et les démocraties occidentales peuvent profiter pour prendre une pause morale, pour ainsi dire. Pour retrouver la première marche avant. Car cette guerre semble être un exercice de vengeance. Et la vengeance est contre-productive.

Quiconque connaît la nature humaine et accepte sa tragédie sait que les sentiments de vengeance sont très puissants. Lorsque son propre groupe est menacé ou attaqué, un leader fort peut marquer des points en promettant qu’il détruira l’ennemi jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. C’est ce qu’a fait George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001. Des bombes sur l’Afghanistan. Bombes sur l’Irak. Et voilà : les Talibans reprennent le contrôle de l’Afghanistan. Quant à l’invasion de l’Irak, elle n’était pas seulement basée sur un mensonge – dans un monde idéal, Bush et son compagnon britannique Tony Blair auraient comparu devant un tribunal de guerre – mais le gâchis que Bush a fait en Irak était aussi la base de l’État islamique.

La crainte d’une nouvelle vague de terreur en Occident est justifiée. Les sentiments de vengeance sont réciproques. Le peuple juif de notre pays doit désormais être protégé à tout prix. C’est l’État israélien, et plus particulièrement le gouvernement israélien, qui doit être tenu responsable. Et ils doivent savoir qu’on ne peut pas éradiquer une organisation terroriste en faisant payer les citoyens ordinaires, mais que ce faisant, on les rend en réalité plus forts. Les démocraties occidentales doivent comprendre que le fait de soutenir les violations des lois de la guerre, ou de ne pas les condamner, met leurs citoyens en danger. Quiconque croit que tout cela se passe loin de notre lit se trompe. Il s’agit de nous tous et de nos enfants.



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