« Il n’y avait pas d’alternative » : la SNCB a non seulement déporté des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, mais en a également tiré beaucoup d’argent

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les chemins de fer belges ont reçu 50,7 millions de francs belges pour les déportations de juifs, de travailleurs forcés et de prisonniers politiques. Cela ressort clairement d’un nouveau rapport présenté aujourd’hui au Sénat.

Yannick Verberckmoes

Quiconque visite aujourd’hui Kazerne Dossin verra un chariot devant l’entrée du musée, du type avec lequel les Juifs étaient transportés du point de rassemblement de Malines à Auschwitz pendant la guerre. Le monument rappelle avec force le rôle joué par les chemins de fer belges dans les déportations.

Pendant l’occupation, 189.542 travailleurs forcés belges, 25.490 Juifs, 16.081 prisonniers politiques et 353 Roms ont été déportés de notre pays de l’Est. Un nouveau rapport de l’historien du Cegesoma Nico Wouters, présenté vendredi après-midi au Sénat, examine précisément cette page sombre de l’histoire.

Wouters a mené des recherches pendant dix mois et a mis cinq mois pour traiter ses conclusions dans le rapport et dans un livre, Entreprise occupée, qui sort la semaine prochaine. Il a consulté des sources nationales et étrangères pour ses travaux de recherche. Un obstacle majeur était l’absence de comptabilité du service financier au sein de l’entreprise.

Mais de manière détournée, Wouters est tombé sur des documents prouvant de manière concluante que la SNCB avait été payée pour les déportations pendant la guerre. «En mai 1945, le gouvernement belge a publié un décret-loi stipulant que les entreprises devaient déclarer au fisc tous les revenus qu’elles avaient reçus d’Allemagne pendant la guerre», explique Wouters. « Par exemple, un tableau de paiements s’est retrouvé dans un dossier du tribunal militaire, qui a ouvert une enquête sur les chemins de fer belges. »

Aiguille dans une botte de foin

Wouters a trouvé la liste dans une boîte contenant plusieurs centaines de documents – c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Wouters a découvert que la SNCB recevait des sommes du Mitteleuropäische Reisebüro allemand. À l’époque, cette organisation était chargée de gérer financièrement les transports de Juifs. Le Reiseburo était également responsable du transport des Roms, des travailleurs forcés et des prisonniers politiques. De cette base, Wouters en déduit que les sommes ont été versées pour des expulsions depuis la Belgique.

La liste montre combien la SNCB a reçu globalement. Les chemins de fer belges ont reçu 41.946.243 francs belges de la succursale bruxelloise du Mitteleuropäische Reisebüro et 8.767.214 francs supplémentaires de la succursale berlinoise. Cela porte le total à près de 51 millions de francs. Selon Wouters, il est difficile de convertir cette somme en euros aujourd’hui, mais cela représente certainement beaucoup d’argent.

Wouters a suivi les traces de chercheurs d’autres pays qui ont étudié ces dernières années la situation des chemins de fer nationaux et les déportations de Juifs. Cette question a déjà été approfondie en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. En 2018, par exemple, il s’est avéré que les Chemins de fer néerlandais (NS) avaient également gagné de l’argent grâce aux transports, après quoi les NS ont versé des millions d’indemnisations aux survivants et à leurs proches.

Dans notre pays, la communauté juive a poussé à mener une étude similaire. C’est pourquoi le gouvernement fédéral et le Sénat ont ordonné cette enquête l’année dernière. Il a été lancé le 22 janvier, ce qui n’est pas un hasard la Journée internationale de commémoration de l’Holocauste.

Question de dette

Les découvertes de Wouters soulèvent désormais également des questions inconfortables. Lui-même ne commente pas d’éventuelles réparations ou dommages. Mais son étude se concentre sur la responsabilité des dirigeants de l’entreprise à l’époque. La SNCB a-t-elle à l’époque accepté trop facilement ce que les Allemands demandaient à l’entreprise ferroviaire ?

« La question de la culpabilité n’est pas simple », estime Wouters. «Le fait que la SNCB ait effectué des transports sur instructions allemandes n’est pas en soi un problème. Ceci est autorisé dans le cadre du droit international de la guerre et du droit belge. Seuls les transports ayant une importance militaire évidente, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de chars, d’armes ou de munitions, sont considérés comme un soutien direct à l’ennemi. Pour le droit pénal belge, cela relève de la collaboration économique.»

Wouters inclut également dans cette catégorie les transports de juifs ou de prisonniers politiques. La SNCB a donc commis des infractions pénales en utilisant des trains à cette fin. La direction de l’époque semblait également en être consciente, même si à l’époque on ne parlait presque pas des expulsions. Ils ont été absorbés par le tableau plus large des réalisations militaires. «La direction a jugé que l’entreprise se trouvait dans une ‘impossibilité factuelle de refuser’», explique Wouters. « Selon elle, il n’y avait pas d’alternative. »

La résistance, assez forte au sein du SNCB, s’est également concentrée principalement sur le transport de matériel militaire. Après la guerre, la responsabilité de la SNCB dans les déportations n’est plus discutée. Aucune plainte n’a jamais été déposée. Mais maintenant que l’étude de Wouters est prête, il semble temps d’engager un débat.

Le ministre de la Mobilité Georges Gilkinet (Ecolo) propose déjà de créer un « conseil des sages » pour réfléchir aux prochaines étapes. « Se souvenir de notre histoire est la meilleure façon de la comprendre », dit-il. « Pour nous éviter de revivre ses pages les plus sombres. Cela est d’autant plus vrai à une époque où l’antisémitisme, le racisme ouvert et la haine sont à nouveau en hausse.»



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