« Il nous a prévenus une barre de fer à la main » : notre journaliste des émeutes de Nanterre


Dans plusieurs villes françaises, notamment autour de Paris, de violentes émeutes ont éclaté pour la troisième nuit consécutive après que Nahel (17 ans) a été abattu lors d’un contrôle de police à Nanterre. Le journaliste Paul Notelteirs s’est rendu sur les lieux.

KL

Ce fut une autre soirée et nuit agitée en France. Ce qui s’est passé?

Paul Notelteirs : « Hier il y avait une marche blanche à Nanterre, à laquelle la mère de Nahel était également présente. Cela a déjà été examiné avec une grande attention à l’avance de peur qu’il n’en résulte des violences. Et c’est effectivement arrivé. Après la marche, il y a eu des affrontements avec la police, des voitures ont été incendiées et des bâtiments ont été détruits. C’était le signe avant-coureur de ce qui allait arriver toute la soirée et la nuit.

Vous avez vous-même passé la nuit à Nanterre. Comment avez-vous vécu cela ?

« Quand nous sommes arrivés à Nanterre le soir, c’était encore relativement calme, mais même alors l’ambiance était morose. Les murs étaient placardés à plusieurs endroits de phrases comme « mort à l’État », « mort à la police » et « justice pour Nahel ».

« Hier, il y avait environ 40 000 policiers, dont un quart à Paris et dans les environs, et cette présence était également très visible. Mais au fur et à mesure que la nuit avançait, la situation commençait à s’aggraver.

« Au bout d’un moment, tout le centre-ville de Nanterre sentait le feu. Nous sommes passés devant un parc où les jouets des enfants étaient en feu. Vers 22 heures, nous étions à l’endroit où la marche s’était terminée. Là, une gigantesque agence bancaire du Crédit Mutuel a été complètement incendiée, les commerces qui l’entouraient ont tous été pillés.

Les pompiers tentent de maîtriser l’incendie d’un local de la banque Crédit Mutuel.ImageAFP

« Vers minuit, nous avons vu des groupes de jeunes principalement, avec des cagoules sur la tête et le visage couvert, qui se sont rassemblés et se sont déplacés plus loin dans le centre. Nous avons entendu de plus en plus d’explosions et avons vu une voiture après l’autre brûler.

« Vous avez généralement ressenti une très forte hostilité envers les forces de sécurité et les institutions. »

Avez-vous pu parler à des émeutiers ou à des riverains ?

« J’ai rencontré une mère qui habitait à proximité et qui était très inquiète. Elle a noté qu’il s’agissait d’une marche blanche pour la justice, mais que cette violence n’avait pas grand-chose à voir avec cela. Il était également frappant de constater que ce sont principalement les petits véhicules plus anciens qui ont été incendiés, et non les gros véhicules utilitaires.

« Nanterre est une banlieue pauvre, donc la destruction des biens et des commerces des gens là-bas est deux fois plus dure. C’est ce qu’a dit l’un des maires locaux. Selon lui, les riverains sont désormais doublement victimes : par la destruction de leurs biens puis ils sont dépeints au monde extérieur comme une banlieue sans loi.

« À un certain moment, quelqu’un est également venu vers moi avec une barre de fer dans les mains. Il a averti que c’était dangereux et qu’il fallait garder ses distances. Il a vu la violence comme une réponse justifiée. Il dit que les choses vont mal en France depuis longtemps et que les émeutes concernent des problèmes plus importants, liés à de nombreux autres incidents de brutalité policière contre des civils.

«Donc, pour ces personnes, on pourrait dire que Nahel a été l’occasion d’exprimer d’autres frustrations à propos du système d’une manière qui ne peut être justifiée.

« Dans le même temps, en plus de tout le mouvement de protestation, qui dénonce les brutalités policières, il y a aussi un groupe important de jeunes qui profitent simplement de l’occasion pour piller et détruire des choses. »

Le président français Macron tiendra des consultations de crise sur la situation à 13 heures à Paris. Comment va-t-il intervenir ?

«Nous devons attendre et voir ce qu’il en adviendra exactement. Mais il est frappant que Macron se soit montré très tôt compréhensif face aux frustrations des jeunes vis-à-vis des services de police. En revanche, en France, notamment parmi les mouvements les plus à droite, il y a une demande de déclaration d’état d’urgence. Cela ne semble pas se produire pour le moment, mais il faudra intervenir pour le maintenir vivable dans les prochains jours.

« Regardez la nuit dernière : 40 000 officiers debout, dont environ 200 blessés. Des centaines de personnes arrêtées et d’innombrables destructions. Vous ne pouvez pas laisser quelque chose comme ça se produire tous les soirs.

Y a-t-il une fin en vue ? Peut-on s’attendre à de nouvelles émeutes ce soir ?

« Il ne semble pas que cela explosera de sitôt. L’ambiance à Nanterre et dans les autres banlieues reste très morose. Les gens à qui j’ai parlé ont même parlé d’une crise systémique où il n’y a plus qu’à attendre le prochain incident.

« Tout le quartier dégage un grand nihilisme. Le sentiment de ne pas être entendu et de n’avoir aucune influence. Et détruire des choses, aussi inutiles soient-elles, donne alors une forme de pouvoir.



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