Il avait des yeux qui regardaient à l’intérieur

« Les meilleurs acteurs du monde sont ceux qui ressentent le plus et montrent le moins. » C’est une déclaration de l’acteur Jean-Louis Trintignant, décédé vendredi à l’âge de 91 ans à Uzès dans le sud de la France. Il était malade depuis un certain temps.

Jean-Louis Trintignant a d’abord attiré l’attention en tant que mari reclus de la sensuelle Brigitte Bardot dans Et Dieu crée la femme (1956). Il fait fureur en 1966 aux côtés d’Anouk Aimée dans un drame amoureux Un homme et une femme de Claude Lelouche, devenu immortel pour son rôle de tueur à gages chancelant dans Bertolluci Il conformiste (1970) et a joué dans Amour (2012) de Michael Haneke est sans doute l’un des rôles cinématographiques les plus importants de l’histoire du cinéma contemporain.

Son insondabilité était sa marque de fabrique et il a donné à des générations de téléspectateurs beaucoup d’expérience sur ce que signifie être introverti. Implosé. À propos de personnages qui, pour de nombreuses raisons, ne sentent pas (ou ne veulent pas) entrer en contact avec le monde qui les entoure. Ce n’était pas une énigme cool. Mais quelque chose qui, malgré les charmes apparents de Trintignant, était profondément troublant.

Fils d’un riche homme d’affaires et homme politique, il envisage d’abord une carrière de pilote de course (thème récurrent dans sa vie et son œuvre, sa dernière épouse Marianne Hoepfner était également pilote de course), puis une licence en droit, avant de finalement s’installer à Paris. suivre une formation de conducteur de voiture, acteur de théâtre.

Il est devenu l’un de ces acteurs qui préparent soigneusement chaque rôle. L’intuition n’était pas là pour lui : jouer est une question de professionnalisme. À cet égard, il est significatif qu’à quatre-vingts ans, il soit revenu de sa retraite volontaire lorsque le cinéaste perfectionniste et cérébral Michael Haneke lui a demandé Amour† Haneke aussi ne laisse jamais rien au hasard, et pourtant il y a un grand mystère dans le film.

Dans le film Palme d’Or et Oscar, Trintignant joue le George âgé, qui a pris soin de sa femme mourante. Alors qu’elle s’éloigne de plus en plus, le film s’articule autour de la question de ce qu’il reste d’elle aux yeux de l’homme avec qui elle a partagé sa vie. Amour? Souvenirs? Désespoir? Presque tous les acteurs et cinéastes auraient laissé le sentiment s’infiltrer dans les petites actions qui les relient encore les uns aux autres et à la vie. Mais lors de la révision Amour Il est encore une fois frappant de voir à quel point le film parle de la vie intérieure de George, et encore moins du débordement réaliste de chagrin, de perte et d’euthanasie. Chaque fois que nous voyons Trintignant baisser les yeux, il nous donne l’occasion de regarder en lui. En plein dans son âme. Il y a aussi des émotions qui sont troubles.

Quand Haneke lui a demandé Amour Trintignant avait pratiquement pris sa retraite d’acteur. Il était tombé en dépression après que sa fille, l’actrice Marie Trintignant, issue de son second mariage avec la cinéaste Nadine Trintignant-Marquand, ait été assassinée en 2003 par son compagnon jaloux. Ce n’était pas la première fois qu’il puisait dans le réservoir de sa vie, sans en dévoiler beaucoup plus.

Il dira plus tard que son chagrin suite à la mort de sa mère Claire et de sa petite fille Pauline avait également trouvé un moyen dans le rôle du fasciste Marcello Clerici qui doit assassiner un professeur antifasciste à Il conformiste† Cela donne une nuance inquiétante au rôle d’un homme pour qui une atrocité est peut-être le meilleur moyen de se sentir invisible.

aliénation

Trintignant a travaillé avec presque tous les grands réalisateurs européens du XXe siècle. Son rôle le plus rêveur était probablement dans le film de la nouvelle vague Mon chez Maud (1969) d’Éric Rohmer, et dans tout ce bavardage français romantique, il a réussi à dépeindre une figure sceptique. Autres performances inoubliables : le drame politique oscarisé z (1969) de Costa Gavras, La nuit de Varennes (1982) d’Ettore Scola et Trois couleurs rouge (1994) de Krzysztof Kieslowksi, ainsi qu’une série de films policiers dans lesquels il a joué dans les années 1970, insufflant toujours un élément d’aliénation existentielle.

Son dernier rôle important était dans Les plus belles années d’une vie en 2019, il interprète pour la troisième fois le rôle de son homonyme Jean-Louis sous la direction de Claude Lelouch. Dans les deux oscarisés Un homme et une femme fait la connaissance du pilote automobile récemment veuf Jean-Louis veuve Anne, en Les plus belles années ils se remémorent leur amour, leur vie et leurs souvenirs. Son regard est doux, plein de rires. Ses yeux ont-ils jamais autant souri ? Est-ce de la joie ou de la confusion face à l’absurdité de la vie ? Nous avons vu tant de formes d’introspection sur son visage, mais aussi maintenant, la dernière fois qu’il tourne le miroir vers le spectateur.



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