RÉ.près les funérailles de la reine, j’étais dans le coin de Green Park qui est devenu un mémorial en plein air pour Elizabeth. Il faisait nuit mais l’endroit était bondé, et pas triste. Sur la pelouse, les Anglais avaient déposé des milliers de bouquets de fleurs, des milliers de lettres.
J’en ai lu quelques-uns. Elles étaient toutes d’une belle écriture, comme si Elizabeth pouvait vraiment la lire. Beaucoup ont remercié la reine pour son service à la nationla traitant avec déférence mais aussi comme une personne de la famille, envers laquelle on éprouve un profond respect.
Ensuite, il y avait les dessins des enfants. Presque tous présentaient l’ours Paddingtonpersonnage né en 1958 mais revitalisé par la vidéo dans laquelle il prend le thé avec la reine, le boit directement à la théière, et offre un sandwich à la confiture à Elizabeth, qui à son tour en sort un de son sac.
Grâce à cette vidéo, la reine est entrée dans la vie de la dernière génération de Britanniqueset le premier souvenir « public » restera pour beaucoup d’enfants, le premier souvenir de quelque chose qui n’est pas seulement arrivé à eux mais à tout le monde.
Quand j’interviewe un personnage, je lui demande toujours quel est son premier souvenir public. Il y a des événements qui marquent nos vies : Piazza Fontana, l’affaire Moro, la Coupe du monde 1982, la chute du Mur, le 11 septembre… Certains évoquent un événement qui s’est produit lorsqu’ils avaient trois ou quatre ans ; d’autres un fait qui s’est produit alors qu’ils avaient déjà vingt ans.
Le degré d’attention à la politique, à l’actualité, à la vie publique varie considérablement. Certes pour beaucoup d’enfants anglais le premier souvenir sera la mort de la reine. Et dans presque tous les dessins les petits s’identifiaient à l’ours, alors qu’ils voyaient dans le monarque une grand-mère, ou plutôt une arrière-grand-mère, tendre et souriante.
Puis, bien sûr, Elizabeth a rencontré Churchill, s’est heurtée à Thatcher, a été persuadée par Blair de mettre le drapeau du palais de Buckingham en berne pour Diana. Mais pendant une génération, elle restera la dame aux cheveux blancs qui prenait le thé avec l’ours.
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