Filip, roi du voyage au Congo: « Cette mission ne réussira que s’il parle à des Congolais ordinaires »

Le roi Philippe est en visite au Congo et cela ne passe pas inaperçu auprès de la population locale. Dans la ville minière de Lubumbashi, la route qu’il suivra a été nouvellement goudronnée pour montrer que tout va bien sous le président Félix Tshisekedi. Que ce soit l’histoire que les jeunes mineurs raconteront au roi Philippe lors de leur rencontre prévue avec lui reste à voir. Successivement à Kinshasa, Lubumbashi et Bukavu, le roi et premier ministre De Croo ne peut ignorer le fait que la population congolaise souffre toujours de la pauvreté, de la corruption et de la violence.

À Kinshasa, le roi Philippe relève le défi de combler le fossé entre notre passé colonial troublé et aujourd’hui. Fin juin 2020, alors que le Congo fêtait ses 60 ans, il l’adressait dans une lettre historique et personnelle au président Tshisekedi : « Pendant l’État indépendant du Congo, des violences et des atrocités ont été commises qui continuent de peser sur notre mémoire collective. La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations. J’aime exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé », a-t-il écrit.

« Avec cette expression de regret, le roi Philippe a renforcé son image et son leadership moral », déclare le professeur émérite d’histoire Mark Van den Wijngaert, auteur de La Belgique et ses rois – Du pouvoir à l’influence† « Son expression de regret était en contradiction avec l’attitude de feu le roi Baudouin, qui avait qualifié à la fois les interventions de Léopold II au Congo et la colonisation belge de » bénédiction pour la population indigène « . »

Le roi a également soutenu la création de la commission parlementaire spéciale « pour se réconcilier définitivement avec le passé colonial ». Comme son travail n’est pas encore terminé, il est peut-être trop tôt pour présenter des excuses de la part de l’État belge pour la période coloniale. Van den Wijngaert : « Filip laisse cela au parlement et au gouvernement. Après tout, les excuses impliquent que l’on veuille compenser la souffrance causée, et c’est une responsabilité politique.

Néanmoins, la politologue et experte du Congo Nadia Nsayi s’attend à ce que la lettre du roi Philippe soit à nouveau mise en lumière. « Pour moi, son parcours sera réussi s’il peut désormais lire le contenu, qui s’adressait au peuple congolais, à lui sur la télévision et la radio d’Etat RTNC », dit-elle. « Cela ne changerait pas leur quotidien mais serait très symbolique. Contrairement à Boudewijn, il n’est peut-être pas paternaliste envers eux comme des enfants, mais dans un discours d’adulte, il peut expliquer pourquoi ils se tiennent maintenant sur leurs deux pieds et pourquoi la Belgique traitera le Congo sur un pied d’égalité.

Un fichier symbolique à cet égard est l’art pillé. Lors de ce voyage, un masque de la collection fédérale belge sera déjà remis au Congo. Étant donné que la loi belge réglementant ce remboursement n’est pas encore officiellement finalisée, nous devons garder un œil sur la sémantique utilisée. Y aura-t-il déjà une « restitution officielle » ou un « prêt » d’un objet d’art culturel ? Selon Nsayi, seul le premier serait historique, le second n’étant qu’un timide pas en avant.

Pendant ce temps, le roi, le Premier ministre De Croo et les secrétaires d’État Kitir et Dermine devront marcher sur des œufs dans leurs contacts avec leurs homologues congolais lorsque la situation politique sera discutée. Nsayi : « Il y a des élections l’année prochaine, et le président Tshisekedi profitera de cette visite royale pour sa campagne. Nous devons également être conscients que nous donnons une légitimité à un président dont l’élection en 2018-19 a été très controversée.

Selon des observateurs, l’opposant Martin Fayulu a remporté le scrutin, mais le président Tshisekedi n’y est parvenu que grâce au soutien éventuel du président sortant Joseph Kabila, dont le clan est toujours accusé de corruption persistante.

A Lubumbashi (Katanga), l’accent sera mis sur l’extraction du minerai. Nsayi y prône également la transparence. « La Belgique ne s’y positionne pas pour des raisons humanitaires, mais en raison de ses intérêts économiques et géopolitiques. De cette façon, nous montrons à des concurrents comme la Chine et la France que nous avons une place au Congo. Nous devons avoir le courage d’admettre que nous y allons, mais en même temps faire un effort pour mener un commerce éthique, qui profite non seulement aux Européens mais aussi au peuple congolais.

Les violations des droits de l’homme continuent de se produire à grande échelle dans l’est du pays en raison du pillage des matières premières. Parce que l’extraction illégale passe par le Rwanda voisin, les tensions entre Kinshasa et Kigali remontent également. A Bukavu, le roi et la reine s’entretiendront des conséquences avec le prix Nobel Denis Mukwege, dont l’hôpital de Panzi reçoit des victimes de violences sexuelles de guerre.

Nsayi espère que le couple royal rompra le protocole là-bas. « Ils peuvent aussi rencontrer des personnalités haut placées à Bruxelles. Ils devraient prendre suffisamment de temps pour parler aux jeunes et aux femmes. Cette mission ne fonctionne que s’ils parlent à des Congolais ordinaires. C’est la seule façon pour eux de connaître le pays sur un pied d’égalité.



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