Femmes dans l’histoire : Rosa Bonheur, peintre et icône écoféministe


Ldernier hommage ? Sonates mystérieuses / pour Rosa, le spectacle de la chorégraphe culte Anne Teresa De Keersmaeker dédié aux « Rosa » qui ont marqué l’histoire : Rosa Luxemburg, Rosa Parks. Et Rosa Bonheur: une star de la peinture du XIXe sièclequi se mesure avec ses collègues masculins sur le même terrain (pas d’intimisme minimal, immenses toiles sur le sujet animalière), les ont battus en compétition et ont été – exception absolue hier comme aujourd’hui, hélas – autant payés qu’eux. La première femme à recevoir la Légion d’honneur après une insistance de douze ans de l’impératrice Eugéniemalgré la non-conformité : il portait un pantalon (à l’époque un permis semestriel était exigé en préfecture) et les cheveux courts, il fumait de l’Avana et vivait plus uxorio avec un ami.

Rosa Bonheur dans un portrait d’Edouard-Louis Dubufe (cliché RMN / G. Blot).

Bonheur ou bonheur

Pourtant… Qui, dans le grand public, s’en souvient ? Le temps de l’oubli, enfin, touche à sa fin. A l’occasion du bicentenaire de sa naissance, le Musée des Beaux-Arts de sa ville natale, Bordeaux,et le Musée d’Orsay à Paris ils lui consacrent une riche rétrospective au titre concis comme elle l’aurait souhaité : Rosa Bonheur (1822-1899). En revanche, l’exposition « concise » ne l’est pas.
« L’idée était de se concentrer sur son travail mais – en avançant – nous avons été captivés par la personnalité, l’incroyable liberté, l’indépendance et la complexité : il était impossible de montrer l’art sans considérer les aspects sociologiques, anthropologiques et historiques » explique Sandra Buratti-Hasan, conservatrice du musée de Bordeaux et, avec Leïla Jarbouai, de l’exposition.

« Ah, si les nations pouvaient seulement s’entendre sur la façon d’utiliser les ressources pour perfectionner l’agriculture, améliorer les transports. Et offrir à toutes les filles une bonne éducation… Quelle explosion de joie il y aurait sur terre ! » Bonheur l’a observé, et ce n’est pas un hasard si la redécouverte de ce peintre – écologiste ante litteram et aujourd’hui une figure inspirante du mouvement LGBTQI+ – commencé dans les années 70 non pas dans le domaine académique mais dans celui des études de genre.

« El Cid » de Rosa Bonheur (photo des archives El Prado).

Socialisme et émancipation

« Bonheur » signifie « bonheur, chance ». Nomen présage ? Il suffit de se fier au parcours de l’exposition pour en juger. Naissance à Bordeaux (prénom Marie-Rosalie) le 16 mars 1822, fille du peintre Raimond Bonheur et de son ancienne élève, Sophie Marquis ; les longues périodes passées à la campagne au contact des vaches et des chevaux ; le déménagement à Paris en 1829 et, en 1833, le traumatisme : la mort de sa mère, inhumée dans une fosse commune au cimetière de Montmartre pour la pauvreté de la famille. Le père est conscient du talent de Rosa, mais hésite à l’engager sur une voie qui ne promet pas la sérénité économique. Jusqu’à ce qu’il doive se rendre : il devient le professeur de cette fille têtue, qui va chaque jour au Louvre copier les animaux représentés par les maîtres antiques. Et c’est lui qui la poussa, en 1841, à participer à la Deux lapins au premier de nombreux Salon (la prestigieuse et sélective exposition parisienne), où elle est régulièrement primée.

L’influence de Raimond – fervent partisan de l’idéologie saint-simonienne prônant le socialisme et l’émancipation féminine – ne se limite pas au côté artistique. « Pourquoi ne devrais-je pas être fière d’être une femme ? » Mon père, cet apôtre enthousiaste de l’humanité, m’a toujours répété que c’est notre mission d’améliorer la race humaine. Je dois à ses doctrines mon énorme et glorieuse ambition pour le sexe auquel j’appartiens, dont je défendrai l’indépendance jusqu’au jour de ma mort. Je suis convaincue que l’avenir nous appartient », a-t-elle expliqué Rose. Qui, à 14 ans, avait déjà fait la rencontre la plus importante : celle avec Natalie Micas, 12 ans, avec qui il ira vivre en 1849. La même année où, fidèle à sa croyance en l’importance de l’éducation, il succède à son père à la tête de l’école gratuite de dessin pour jeunes filles à Paris.

Rosa Bonheur mise en scène dans son atelier par Georges Achille-Fould (© Mairie de Bordeaux, ph. Lysiane Gauthier).

Il achète un château et crée un zoo

Personnellement, cependant, elle ne renonce pas au thème qui l’intrigue le plus : les animaux. Elle les étudie dans leur écosystème, très attentive à l’anatomie et à la psychologie, échappant à la tentation de les « humaniser ». Travail nivernais, la toile qui la consacra en ce même 1849, en est un parfait exemple : représentant une rangée de bœufs traînant la charrue, elle est indifférente aux deux hommes qui les guident ; l’accent est mis sur la sueur des animaux fixant le spectateur avec des yeux éloquents. Ou pensons à la dignité majestueuse de ses lions et cerfs…

L’autre singularité de Rosa Bonheur est une gestion prudente des finances et une certaine aisance : son Marché aux chevaux, emmené en tournée en Grande-Bretagne, obtient un énorme succès, à tel point que même la reine Victoria demande à le voir ? Elle n’hésite pas à reproduire le sujet sous divers formats et avec diverses techniques, c’était aussi un pionnier en s’appuyant sur les conseils des marchands d’art. En 1860, elle accumule une fortune qui lui permet d’acheter le château de By a Thomery, près de la forêt de Fontainbleau, où elle s’installe avec Nathalie et sa mère., qui s’occupent de la gestion pratique de la maison et de l’entreprise. Il y a beaucoup d’espace pour un vrai zoo, y compris des lions. Et il y a de la place pour inviter des amis (on passe de Victor Hugo à Gustave Flaubert, de Georges Bizet à Jules Massenet et Charles Gounod).

Buffalo Bill vu par Rosa Bonheur (@ Buffalo Bill Center of the West).

Ami Buffalo Bill

En 1889 l’idylle prend fin : Nathalie meurt, Rosa tombe dans une profonde dépression dont seul l’intérêt suscité par l’arrivée à Paris de Buffalo Bill, avec qui elle se lie d’amitié, avec son cirque, le Far West, la relève un peu. Spectacle. Mais la vie réserve une autre surprise : la rencontre avec une peintre américaine de trente-quatre ans qui aimerait la représenter, Anna Klumpke. Ce sont précisément les séances de ponte qui rapprochent les deux, si bien qu’en 1898 Rosa l’invite à déménager et en fait l’héritière universelle.
Mais Klumpke remplit bien ses responsabilités : il conserve le château de By avec les peintures, objets et archives (il se visite aujourd’hui, info : chateau-rosa-bonheur.fr ); inventorier ses œuvres (certaines qu’il vend pour en reverser les bénéfices à la famille exclue de la succession, beaucoup qu’il donne à des musées français) ; écrit une biographie précise – Rosa Bonheur: La biographie de l’artiste (auto) – et se bat pour qu’il ne soit pas oublié. En vain.

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« Dans un monde où les impressionnistes s’imposent, et dans lequel – bientôt – de nouvelles avant-gardes feront place, Bonheur est perçu comme « académique », ce qui est vrai du point de vue des sujets (il n’y a pas d’innovation) , mais pas la qualité, la vitalité, la capacité satirique : on espère que l’exposition servira à ramener ces aspects à l’attention des critiques » espère le commissaire. Cela ne lui a certainement pas fait du bien ayant été vu comme « le peintre du Second Empire », que Napoléon III considérait comme supérieur à Manet. Aujourd’hui pourtant, la revalorisation peut compter sur un allié privilégié : le web. Le 16 mars, jour de son anniversaire, Google lui a dédié le Doodle, ce logo qui change tous les jours. Plus efficace – pour la diffusion – que n’importe quel essai faisant autorité.

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