L’héroïne venait de Sicile, l’argent venait des États-Unis d’Amérique sous forme de chèques à la caisse d’épargne des provinces siciliennes. C’était l’hiver 1979 : l’évaluation bancaire était née, la « méthode Giovanni Falcone ». Plus de 40 ans plus tard, cette méthode d’investigation deviendra la base de toutes les enquêtes sur Cosa Nostra, ‘Ndrangheta et Camorra.
Dans une Palerme où le temps semble s’être arrêté, les cabinets judiciaires sont dans une torpeur irréelle, seuls les derniers finissent en prison, “la mafia n’existe pas”, “il n’y a pas de drogue” mais dans toute la province de Palerme, des chimistes raffinent des tonnes de morphine de fabrication turque, qui s’envole ensuite vers New York. L’attendent les hommes de John Gambino, le parrain le plus puissant du Nouveau Monde. Un nom se retrouve sur le bureau du nouveau juge d’instruction Falcone, fraîchement nommé après son expérience dans la section des faillites : Rosario Spatola, entrepreneur, très respecté, un « bienfaiteur » disaient-ils. Un fil relie Spatola aux Gambinos, non seulement des mariages et des relations diverses, mais une série de chèques sur lesquels apparaît également la signature d’un autre personnage, le patron Salvatore Inzerillo.
Ce jeune magistrat de 40 ans reconstitue tous les passages d’argent en les associant au trafic d’héroïne, jusqu’à ce qu’il identifie les liens avec le monde politico-financier de Michele Sindona, fixeur, banquier, homme fort de la Loge P2, instigateur du meurtre de Giorgio Ambrosoli. C’est l’aube de l’enquête “Pizza Connection”, qui va marquer l’histoire judiciaire des Etats-Unis, à tel point qu’un buste en bronze commémore le magistrat sicilien à l’entrée de la FBI Academy de Quantico (Virginie).
Une méthode d’enquête étudiée et analysée par toutes les polices du monde, devenue l’outil fondamental pour s’attaquer aux richesses de la mafia. Les arrestations, bien sûr, ont fait mal, mais les enlèvements ont touché le cœur. Falcone nous l’a appris, lorsqu’il a été massacré avec sa femme Francesca Morvillo et les agents d’escorte Vito Schifani, Rocco Dicillo et Antonio Montinaro à 17h58 le 23 mai 1992, sur l’autoroute A29 près de Capaci.
De la mafia “rurale” au financier
La mafia “rurale” n’est plus là. Il est devenu financier, il déménage, il investit. “Je suis un entrepreneur et j’ai l’argent mis de côté et tout ste tarantella”, déclare dans une interception environnementale un ‘Ndranghetista qui s’est retrouvé dans la récente enquête des procureurs de Rome. Une métamorphose que Falcone et son collègue et ami Paolo Borsellino avaient déjà compris, tués quelques mois après lui, le 19 juillet 1992, via D’Amelio à Palerme, en compagnie de cinq agents d’escorte. Un changement radical de la mafia, enquêté plus tard par l’anti-mafia, également par les carabiniers du groupe opérationnel spécial (Ros) – maintenant sous le commandement du général Pasquale Angelosanto – fondé par l’un des plus grands enquêteurs de ce pays, le général Carlo Alberto Dalla Chiesa, qu’après l’expérience du terrorisme, il a été parmi les premiers à comprendre l’unité de la mafia, en payant le prix le plus élevé.