CAra Esther,

C’est toujours moi : je t’ai écrit il y a quelques mois, j’avais rompu avec mon copain au téléphone et j’étais désespérée. Écoute, on s’est remis ensemble (après une demande de sa part de redevenir amis car il ne pouvait pas m’annuler de sa vie, évidement refusée) et entre divers compromis on est aussi partis en vacances.

Je me suis retrouvé en vacances avec un inconnuavec une personne gênée par chaque petite chose et plus de passion et d’intimité. Encore quelques querelles inutiles sur le chemin du retour, querelle qui ouvre une immense fracture pour une raison bien anecdotique et puis à l’aube de son transfert, il me dit qu’il vaut mieux s’arrêter là, que probablement les sentiments ont diminué et pour cela, il ne m’a rien donné de plus.

Et donc, après des mois d’attente pour ce transfert (ce qui est stupide de croire que la distance réglerait une passion latente même en vacances, à 20 ans alors…) c’est fini.

C’est la bonne chose, je sais et pourtant ça me fait tellement bizarre. Je me sens perdu. J’ai perdu des années de ma vie en un instant, j’ai perdu mon point de référence, mes choses et amis communs et la seule personne que je peux maintenant imaginer comme petit ami.

Ma vie me semble si étrange sans l’entendre tous les jours, sans tout lui dire, sans prévoir de choses à faire ensemble…

Ça me paraît absurde de me sentir heureuse seule mais ça me paraît encore plus absurde de pouvoir recommencer avec quelqu’un d’autre, comme pour dire, ils me font tous un peu dégoûtant (et puis l’ongle écrase l’ongle au bout de moins d’une semaine ça ne ça marche pas).

Entre un cri, une page d’étude, un film déchirant et un autre cri, j’avance.

Que fais-tu quand ça n’a même pas l’air réel ?

R

La réponse d’Ester Viola

Cher R.,

Faible ou fort, l’évolution est la même : sang amer, oppression thoracique, difficultés à dormir, difficulté à se réveiller et parfois à respirer. Fonctions mentales assombries, léger syndrome anxio-dépressif, sensation de poids à hauteur du sternum, épuisement. L’enthousiasme pour quoi que ce soit est impossible à obtenir, volonté de vivre et qui s’en souvient, grande confusion entre convalescence et aggravation de la maladie. Vous semblez aller mieux, une demi-journée plus tard, le gouffre.

Il souffre de l’absence de rendez-vous (« restez tranquille, c’est juste une larme au coeur, il faut six mois de mauvaise humeur et puis le 16 mars vous retomberez amoureux, ne vous inquiétez pas mademoiselle »).

Nous avons déjà dit que la fin ne se voit pas car la fin ne se voit pas : c’est de cela que souffre l’amant. Si vous avez su vous adapter à la douleur avec la seule ressource d’espérer qu’elle passe, vous avez déjà fait tout ce que vous pouviez demander à quelqu’un qui a une carte humaine, voire plus, car la résignation à l’attente est l’effort divin.

Mais ne savez rien de la durée? Cette punition, la méritions-nous ?

En attendant, voici la liste des choses que l’on peut faire en souffrant comme un chien.

Sorties effrénées.
Utilitaire: de médiocre à juste suffisant.
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Rentrer à la maison pour s’effondrer face contre terre sur le lit. Se fatiguer, tout faire : shopping, cours de danse, gym, théâtre, applications de rencontres. En espérant rencontrer quelqu’un ou être distrait. Excellent remède pour ne pas se rendre compte qu’on est toujours à la case départ, l’illusion du progrès perçu se brise dès la première chanson triste qui passe à la radio.

Isolement marécageux.
Utilitaire: de médiocre à juste suffisant.

Cesser. Tais-toi un moment chez toi pour au moins retrouver ton calme, avec de grosses boulimies de livres – ou s’il y a même un manque d’attention à la lecture – de séries télévisées. Le protagoniste de la série télévisée s’en sort généralement bien moins bien que nous, mais reste intelligent et poursuit une carrière utile loin de chez lui. La morale sous-jacente est toujours la même : les gens souffrent, mais en attendant ils ne jettent pas le reste, au contraire.

Livres.
Utilitaire: modéré.

L’écrivain est celui qui se tord dans ses pensées. Un très présent à lui-même et très replié sur lui-même. Alors il est censé avoir la sensibilité aussi exaspérée que la vôtre, seulement qu’il sait vous le dire méthodiquement. Douleur ordonnée. Trouvez les mots que vous n’aviez pas, votre gale identique expliquée en détail. Oui, un diagnostic n’est pas un remède, mais c’est mieux que rien.

Certains livres, en revanche, s’efforcent et parviennent à illustrer toute la procédure au patient : détester et aimer quelque chose, rester en dessous, et on ne sait pas où trouver toujours la détermination de se remettre sur pied.

Soyons clairs : lire et s’identifier ne résout rien, mais ce petit goût d’espoir reste dans la bouche. En bref, « se lever » peut être fait.

Rappelez-le pour clarifier.

Utilitaire: rien.
Le soulagement n’est que momentané. Par contre ils peuvent ne pas répondre (deuil sans fin) ou répondre poliment avec pitié parce qu’ils vous voient réduit à l’état d’épave (quand ils s’inquiètent pour vous, c’est là que vous savez qu’ils s’en fichent).

Capitales européennes et mondiales.
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Utilitaire: rare.
Merveilleux remède pour les riches. Vous devez avoir un revenu indépendant du travail et une grande liberté de ne pas vous présenter au bureau. Ensuite, il y a le problème de l’entreprise, les autres ne sont pas toujours disponibles et tout le monde n’est pas taillé pour vagabonder seul dans les capitales. Et pour les arrivées à l’aéroport, personne ne vous attend au retour, disons qu’il pleut dans un taxi et que vous avez un frigo vide à la maison, bref, vous ne gaspillez peut-être pas votre argent.

La promenade de Santiago.
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Utilitaire: faible à modéré.
Comme tout effort physique extrême, il déconnecte la turbine des mauvaises pensées. D’autre part, il use le cartilage et tue votre dos. Est-ce que ça vaut le coup pour lui/elle ?

Ovide dans Remedia Amoris soutient que le désespoir est davantage une question de temps libre. Ce n’est pas vous qui mourez, c’est que vous devez trouver quelque chose à faire.

Meurt lentement celui qui écrit trop de poèmes d’amour.

Cher R., je suis contre le fait que c’est aussi un peu offensant d’entendre « tu n’as rien » si tu es allongé par terre en ce moment. Et je sais qu’il n’y a pas de hiérarchie quand il s’agit de « se sentir mal », un seuil en dessous duquel il est interdit par la loi de se mettre au lit et de pleurer chaque nuit pendant des semaines.

Mais si le désastre n’est que sentimental, au moins on renonce au respect de la douleur. Traitez-le comme un chiot affamé, dites-le, faites-le durer. Si vous n’y prêtez pas attention, vous pouvez passer votre vie à traiter la tristesse avec des gants de velours.

iO Donna © REPRODUCTION RÉSERVÉE



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