« Rvous êtes des gars étonnants. C’est génial, génial ! Wow, voici le professeur dont nous rêvions ! Et si l’on considère qu’il s’agit Carolyn Carlson – l’une des mères de la danse contemporaine avec Martha Graham et Pina Bausch – on a une idée du privilège accordé aux participants de la masterclass de Venise: 16 danseurs et trois chorégraphes sélectionnés pour le Collège biennalun programme trimestriel dirigé par Wayne McGregor.

Roberto Bolle directeur du ballet à la Scala de Milan ?

L’artiste américaine, souvent comparée à sa compatriote Isadora Duncan pour son esprit libre, s’enthousiasme pour ce « retour aux sources » : c’est elle qui a créé le secteur en 1999. Danse de la Biennale. Et c’était elle la première dame à recevoir le Lion d’or pour l’ensemble de sa carrièrecomme cela sera bien documenté de l’exposition Iconoclastes. Les femmes qui brisent les règles à la Biennale (Iconoclaste. Femmes révolutionnaires à la Biennale) qui ouvre ses portes le 18 juillet au Portego de Ca’ Giustinian, en collaboration avec l’édition 2024 du Festival.

Atteindre les étoiles

Carolyn Carlson pendant la masterclass du Biennale College, à Venise (Autorisation de La Biennale di Venezia – ph. Andrea Avezzù).

« Mais voyez-vous ces jeunes ? Ils sont merveilleux. Je dis : « Atteignez une étoile », et ils atteignent une étoile ! Il ne s’agit pas d’entraîner les pas, mais de faire preuve d’imagination. Pour faire ressortir l’émerveillement, cet émerveillement que l’on ressent étant enfant devant une fleur. La technique est fondamentale, mais il faut aller plus loin » nous explique Carlson lors d’une pause. Avec ses indications les mouvements s’enchaînent harmonieusement les uns aux autres et ainsi ce qui sont théoriquement des exercices se transforment en chorégraphie. En effet : il préfère la définir comme « poésie visuelle ».

Quelle est selon vous l’importance de la radiodiffusion ?
La transmission est tout ! On ne peut pas écrire un livre sur la danse : le maître doit partager avec le disciple, l’Ego disparaît. Parfois, ils me demandent : comment avez-vous réussi à accomplir autant de choses ? Je suis un simple messager ! Je danse depuis 60 ans (des rires) et je ne sais toujours pas ce qui va se passer en classe. Ce sont les étudiants qui « me disent » ce dont ils ont besoin, je suis un « canal ». Aujourd’hui, ma mission est plus importante que jamais.

Beauté et amour

De quel point de vue ?
Les gouvernements évoluent partout à droite, les ministères coupent les budgets culturels, les entrepreneurs ne se soucient que des affaires, au moment même où le monde s’effondre. Nous avons besoin de beauté et d’amour. De la lumière.

«J’improvise depuis l’âge de cinq ans»

Carolyn Carlson lors d’une représentation au Trocadéro, Paris, en 1989 (Getty Images).

Au fait… La toute première étincelle pour la danse ?
Je suis née en Californie, mais mes parents étaient finlandais et continuaient à célébrer le Ukon juhla, le festival du solstice d’été. Mon père mettait de la musique de Jean Sibelius ou des tangos finlandais et me demandait toujours, puisque je dansais déjà : « Tu improvises ? ». J’ai donc l’habitude d’improviser depuis l’âge de cinq ans !

Ce n’est pas un hasard si le classique ne lui convenait pas et qu’elle a quitté la San Francisco School of Ballet pour rejoindre la compagnie. Alwin Nikolaisà New York.
Je fais partie de la génération hippie, les enfants-fleurs : nous étions libres, l’expérimentation était encouragée, il n’y avait pas de critiques. « Nik » avait une approche philosophique, il m’a initié aux notions de temps, d’espace, de forme, de mouvement. Et il m’a convaincu de l’importance de sourire.

C’est alors qu’elle se rapproche du bouddhisme.
La danse et le bouddhisme ont beaucoup en commun : tous deux vous invitent à vivre chaque instant avec une présence consciente, en vous abandonnant au flux. Et ils parlent tous les deux d’impermanence, un mot que j’adore ! On s’accroche aux choses, mais tout est éphémère, tout va disparaître. Anne Béranger (dont elle rejoint l’entreprise en 1971, éd) a souligné que quand tu es né, tes mains sont comme ça (fait le geste de ses mains fermées presque en poings), quand vous partez, ils sont ouverts. Ils sont vides.

Carolyn Carlson et ses amis italiens

En 1974, une autre étape importante se produit à Paris : l’invitation à collaborer avec le très traditionnel Opéra, la direction du « Groupe de Recherche Théâtrale ».
Le passage à l’Europe a été fondamental : vous avez une profondeur que les États-Unis n’ont pas, vous avez une histoire. La France est plus intellectuelle, « cartésienne », mais l’Italie, avec sa certaine absurdité… Oh, c’est unique. Mes meilleurs amis sont italiens.

En 1980, sollicitée par le Teatro La Fenice, elle fonde l’Accademia Isola Danza de Venise, la première école contemporaine de notre pays.
L’improvisation était inconnue (sauf peut-être pour Anna Sanga, à Turin). Comme après tout, personne n’avait improvisé à l’Opéra de Paris. Mais l’échange a été réciproque : votre influence, votre chaleur ont eu un impact incroyable sur moi. Je n’oublierai pas l’accueil de Raffaella Giordano (une des étudiantes, plus tard l’âme de la compagnie Sosta Palmizi, éd) : au bout d’une semaine je connaissais tous les membres de sa famille ! Il m’a fait remarquer : « On ne travaille pas avec l’émotion ». En fait, je travaillais avec des principes. C’était amusant, nous avons eu de belles discussions. Et puis l’eau m’a affecté. De plus, je suis du signe des Poissons, ascendant Cancer. (sourit)

L’eau?
J’ai grandi entre la forêt et l’océan, l’observation de la nature a été une source d’inspiration continue et à Venise j’ai retrouvé le mouvement perpétuel de la vague qui coule, en fait, comme une danse. J’oubliais : mon fils Aleksi (du compositeur René Aubry, éd) est né ici, en 1981. E Dame bleueun de mes meilleurs solos, est né en regardant mon fils.

« Je ne suis pas féministe »

Carolyn Carlson lors d’un « Événement Poésie » à Paris (photo © Sophie Crepy).

Elle a été la première femme à diriger la Biennale, la première à remporter un Lion d’Or (« Pour sa passion, sa générosité, sa vision de la danse comme énergie positive et génératrice de jeunes talents »).
Je ne me mets jamais en termes « féministes ». J’ai un homme en moi et j’ai une femme. Tout le monde est composé de yin et de yang, masculin et féminin. Anima et Animus, pour citer Carl Jung.

Des projets à venir ?
En plus de la reprise du spectacle L’arbrej’en ai prévu Événement de poésie, des soirées qui mélangent danse, lecture poétique et musique. Et puis qui sait… Il y a un auteur italien que j’adore, Erri De Luca: J’aime sa simplicité, son caractère essentiel. Peut-être que je pourrais l’impliquer dans certaines créations.

Elle est également poète et calligraphe. Quel est le dénominateur commun de tout?
Le besoin de laisser une trace, que ce soit dans l’espace ou sur le papier. Cela ne sert à rien de trop séparer les choses. Nous prenons la danse et la vie : nous nous concentrons sur le mouvement, et quel est notre premier mouvement ? Respirer…

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