« Heureusement, ce ne sont pas les universitaires, mais les législateurs, les juges et surtout les coursiers eux-mêmes qui déterminent ce qu’est un travail attractif et équitable. » Le livreur de repas Deliveroo réagit fortement à la recherche sur les plateformes de partage de la KU Leuven, en association avec l’Université d’Oxford. « Insuffisamment neutre et ignore la réalité du terrain », semble-t-il.
Aucune des cinq plateformes interrogées n’a obtenu de bons résultats et Deliveroo fait nettement moins bien que son concurrent TakeAway. L’étude a classé les plateformes en fonction de cinq principes de travail équitable : rémunération, avantages sociaux, contrats, gouvernance et représentation.
Elle a examiné deux sociétés de livraison de repas, TakeAway et Deliveroo. Pas d’UberEats, au grand dam de Deliveroo, mais les chercheurs ont préféré ne pas s’intéresser uniquement aux livreurs de repas. Pour avoir une vision plus large, ils ont choisi les deux plateformes de soins Yoopies et Top Help, où l’on peut par exemple réserver un pet sitting ou une garde d’enfants, et RingTwice, qui propose une large gamme de services.
Il est frappant qu’aucune plateforme ne propose une forme de représentation. « Celui qui travaille pour une telle plateforme n’a donc aucun canal pour peser sur les décisions qui ont un impact sur son travail et est seul », explique le professeur Valeria Pulignano (KU Leuven).
TakeAway est la seule plateforme avec un pass. Tout comme RingTwice, TakeAway prouve que garantir un salaire minimum est bel et bien possible. TakeAway est le seul à proposer à ses travailleurs un contrat qui assure les coursiers contre les accidents du travail. C’est aussi la seule plateforme avec des conditions d’emploi clairement définies.
Forte réaction
La semaine dernière, 3 250 coursiers ont fait le tour de Deliveroo en Belgique. Le livreur de repas est fier qu’il y en ait 10 000 autres dans notre pays désireux d’enfiler un sac à dos aussi turquoise. « La meilleure preuve que nos emplois et la flexibilité et la protection qu’ils offrent sont appréciés par les coursiers », a déclaré le porte-parole Rodolphe Van Nuffel.
RingTwice, qui est arrivé deuxième dans la comparaison, n’est pas non plus satisfait du score. Le co-fondateur et PDG Jonathan Schockaert est déçu. « Je ne critique pas leur méthode de recherche, mais ils comparent des pommes à des oranges », dit-il.
Aussi bien Deliveroo que RingTwice estiment que les critères évalués ne donnent une bonne note qu’à ceux qui embauchent des salariés, alors que ces plateformes préfèrent travailler avec des indépendants. « Essentiellement, le point de départ de cette étude est que le statut d’un salarié est meilleur que celui d’un indépendant », explique Schockaert. « Mais quiconque veut faire une mission de plomberie en plus du travail, par exemple, veut la flexibilité d’un travailleur indépendant. »
Salarié ou indépendant ?
Les travailleurs des plateformes de partage sont-ils des salariés ou des indépendants ? Cela fait l’objet de discussions depuis des années. « Bien sûr, les plateformes veulent faire peser tous les risques sur les travailleurs », explique Herman Loos, chercheur à Odisee et AP University of Applied Sciences, mais également auteur d’un livre sur son travail de coursier chez Deliveroo. « Ils vont continuer à défendre cela jusqu’à ce que cela devienne indéfendable. Et ce moment arrive avec la législation européenne.
Mais pour l’instant, les plateformes ont la réglementation de leur côté. En décembre, le tribunal du travail de Bruxelles a jugé que les coursiers étaient bien des travailleurs indépendants. L’inspection du travail et une trentaine de coursiers avaient porté plainte contre Deliveroo, car ils souhaitaient être reconnus comme salariés. Ils ont le couvercle sur le nez.
La question est importante car elle concerne les emplois peu rémunérés, qui s’accompagnent d’une vulnérabilité. « Quelles sont les alternatives pour ces gens ? », explique Loos. « Par exemple, j’ai parlé à quelqu’un qui venait de travailler un an avec des contrats hebdomadaires chez Volvo, en équipes. Un travail sans autonomie, donc. Eh bien, il pourrait désormais travailler ses propres heures en tant que coursier Mais il doit travailler 70 heures par semaine, dont une grande partie est passée à attendre sans être payé le scooter pour une mission.
Accord de travail
Afin d’absorber la vulnérabilité de cette existence, le gouvernement a également conclu cet hiver un accord sur la plate-forme des travailleurs dans l’accord sur le travail. La loi a été votée en Conseil des ministres pour la première fois, mais a encore du chemin à faire avant d’être soumise au vote du Parlement dans quelques semaines. Il précisera quelle loi s’applique avec quelques critères.
« Ainsi, une meilleure protection des rémunérations est garantie », a déclaré le porte-parole du ministre fédéral du Travail Pierre-Yves Dermagne (PS). « Tous les acteurs de l’économie de plateforme seront également mieux protégés grâce à l’assurance contre les accidents du travail. »
Pourtant, le professeur Pulignano a ses doutes. « L’accord stipule que cette assurance s’appliquera à tous les travailleurs de la plateforme, mais le texte indique qu’elle ne s’applique qu’aux travailleurs indépendants. » Depuis 2018, il existe un statut dit de peer-to-peer en Belgique, ce qui signifie que ces employés tombent entre deux tabourets. Pulignano estime que 80 à 85% des travailleurs des plateformes sont concernés et n’est pas convaincu que la nouvelle loi mettra un terme à cela.
« Quiconque travaille pour ces plateformes doit être soit salarié, soit indépendant », insiste le cabinet Dermagne.