Erik Whien apporte à nouveau le formidable Beckett: ‘Happy Days’ est un théâtre émouvant et accessible


Résolument joyeuse et débordante d’optimisme, Winnie endure le temps, quelque part sur la pente glissante entre l’acceptation et le déni de son destin imminent. Le fait qu’elle soit déjà attachée jusqu’à la taille ne semble pas la déranger, au contraire : ce sera un autre « jour divin ».

Le dramaturge irlandais Samuel Beckett a écrit avec Jours heureux (1961) une pièce sur une femme enfouie dans un monticule dans une «vaste pelouse brûlée». Sa liberté de mouvement ne fait que diminuer davantage au cours de la pièce. Elle et son mari Willie, qui se précipite derrière elle et qu’elle peut à peine voir, sont les seules personnes qui restent au monde.

Parfois, Winnie songe à l’ancien temps – « l’ancien style » – et une touche de mélancolie tombe sur son visage. Le plus souvent, cependant, elle se force à être ici et maintenant, se réjouissant des mêmes objets qui sortent chaque jour de son sac à main. C’est un optimisme du genre obstiné, qui est courageux et intelligent, mais qui a aussi quelque chose de très triste. Elle se jette dans la petite réalité qui l’entoure, pour ne pas avoir à faire face à la plus grande situation, à la solitude sans espoir et à la mort qui approche.

Combat existentiel

Jours heureux est donc un portrait universel d’une femme qui se rapporte à sa propre éphémère, mais les connotations actuelles sont désormais sans équivoque : comment vivre à l’heure du changement climatique ? Il n’est pas exagéré de supposer que les jeunes souffrant d’anxiété climatique persistante se reconnaîtront trop bien dans cette femme attachée, dont la joie résolue trahit une immense lutte existentielle.

L’abstraction appliquée par le scénographe Juul Dekker à l’image scénique prescrite par Beckett – Jelgersma est coincée dans un plan incliné indéfinissable de bandes jaunes entrelacées – renforce le sentiment que nous regardons quelqu’un qui est coincé dans un monde incliné, une femme qui ne correspond plus à son époque. Sa liberté de mouvement limitée est non seulement suffocante, mais lui offre également sécurité et stabilité : elle ne peut ni tomber ni se perdre.

Ce n’est qu’ensuite que la tragédie de son œuvre semble s’être installée en vous

Dans le rôle de Winnie, Antoinette Jelgersma livre une belle performance. Elle façonne principalement son personnage avec sa mimique – yeux pétillants, sourcils relevés, moment d’acharnement entre deux sourires – et sa voix. Elle recherche des notes aiguës, son personnage respire profondément plus d’une fois, pour cacher le fait qu’elle ne se souvient tout simplement pas. Jelgersma joue ouvertement et avec alerte, opposée aux drames exagérés ou au pathos, et dans le langage répétitif de Beckett ne retombe jamais sur la routine : elle semble ressentir chaque «jour divin» à nouveau. Quelle merveilleuse auto-tromperie à regarder.

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René van ‘t Hof joue son mari Willie – un rôle modeste mais crucial – et le fait à merveille : il apparaît à peine à l’écran, mais quand on le voit, chaque action est juste. Van ‘t Hof est le type d’acteur qui transforme la tenue d’un journal ou la torsion du cou en véritables prouesses artistiques, sans attirer l’attention sur lui. L’importance de sa (présumée) présence est énorme. Cela permet à Winnie de continuer à parler, et donc de vivre : « On entend quelque chose de cela.

De Jours heureux le réalisateur Erik Whien se révèle une fois de plus un redoutable réalisateur Beckett. Il capte la douleur insoluble des personnages dans un théâtre gai, léger et très accessible. À Whien, une performance de Beckett est carrément amusante à regarder. Ce n’est qu’ensuite, quand vous n’en avez plus conscience, que la tragédie de son œuvre apparaît indubitablement s’être nichée en vous. Car ce «jour divin», une qualification à laquelle Winnie s’accroche si fermement, s’accompagne d’un ajout: «Malgré tout».



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