Environ un quart des otages à Gaza seraient thaïlandais. Comment est-ce arrivé?

Le groupe militant palestinien Hamas a tué ou pris en otage un nombre impressionnant de civils thaïlandais. Que faisaient-ils en Israël ? Six questions.

Noël van Bemmel

1. Combien de victimes thaïlandaises y a-t-il eu jusqu’à présent dans la guerre entre Israël et le Hamas ?

Le gouvernement israélien affirme que le groupe militant palestinien détient le Hamas 54 citoyens thaïlandais capturés à Gaza, de loin le plus grand groupe d’étrangers parmi les quelque 220 otages. En outre, 24 Thaïlandais auraient été tués dans les attaques des combattants du Hamas en Israël, tandis que 21 civils thaïlandais seraient toujours portés disparus. Le gouvernement thaïlandais estime actuellement à 33 le nombre de morts, 18 blessés et 18 otages. Les deux gouvernements tentent encore de comprendre pourquoi leurs chiffres diffèrent. Avant la guerre, environ 30 000 Thaïlandais vivaient et travaillaient en Israël.

2. Que fait le gouvernement thaïlandais ?

La semaine dernière, plus de 4 500 Thaïlandais sont rentrés dans leur pays. Presque le même nombre attend toujours d’être rapatrié. Des images apparaissent dans les médias thaïlandais montrant des cercueils retirés des avions d’El Al et des proches désemparés des otages appelant leur gouvernement à agir. Il a envoyé vendredi une équipe de négociateurs au bureau du Hamas à Téhéran, la capitale iranienne. Une première conversation s’est bien déroulée, a-t-il rapporté le meneur de l’organisation musulmane chiite en Thaïlande.

3. Pourquoi tant de Thaïlandais vivent en Israël ?

À la fin des années 1980, le gouvernement israélien a tenté de briser un soulèvement palestinien qui durait depuis des années (la première Intifada) en remplaçant les travailleurs palestiniens par d’autres travailleurs migrants. Le secteur de la construction a principalement choisi les Européens de l’Est, les Turcs et les Chinois. Le secteur de la santé recrutait exclusivement des femmes philippines et l’horticulture n’invitait que des hommes thaïlandais. Cette division est toujours d’actualité.

Le choix des travailleurs agricoles thaïlandais repose sur une coïncidence stratégique, conclut une étude de 2019. Pendant l’Intifada, l’armée thaïlandaise s’est régulièrement rendue sur place pour apprendre à construire des colonies sur des territoires contestés. Peut-être une bonne idée, pensaient les généraux, le long de leurs propres frontières avec le Cambodge et le Laos.

Des centaines de « stagiaires » thaïlandais ont appris à créer une ferme coopérative et à gérer une communauté autosuffisante. La collaboration a été si fructueuse que les deux pays ont conclu un accord exclusif. Presque tous les migrants destinés à l’agriculture israélienne viennent encore de Thaïlande.

4. Quel genre de travail font-ils là-bas ?

La plupart des travailleurs migrants thaïlandais travaillent dans un moshav, une sorte de kibboutz mais avec des fermes privées. Les agriculteurs commerciaux et les jardiniers travaillent souvent de manière intensive ensemble et dépendent largement du recours à des travailleurs migrants. Les travailleurs thaïlandais (97 pour cent sont des hommes) récoltent des choux-fleurs ou cueillent des grenades, des tomates et des agrumes. Ils mangent et dorment généralement dans des enclos communs. Un moshav est généralement éloigné, de sorte que le rôle des Thaïlandais dans la société israélienne reste largement invisible.

Les migrants thaïlandais viennent en grande partie de la région de l’Isaan, au nord-est, une partie relativement pauvre de la Thaïlande. Là, ils peuvent – s’ils ont de la chance – gagner un salaire minimum de 260 euros par mois. En Israël, le salaire minimum est de 1 300 euros. De nombreux migrants thaïlandais vivent modestement et envoient 1 000 euros chaque mois chez eux, par exemple pour rembourser leurs dettes ou acheter un terrain et construire une maison. Le visa de travail est valable cinq ans et trois mois.

5. Dans quelles conditions les Thaïlandais travaillent-ils ?

Comme partout ailleurs dans le monde, des intermédiaires de l’ombre opéraient sur le marché de la migration, facturant des prix exorbitants pour le travail en Israël. Au cours des dernières décennies, les deux gouvernements ont conclu divers traités, en collaboration avec les Nations Unies, pour réduire considérablement le prix des contrats et améliorer les conditions de travail des migrants. Néanmoins, l’exploitation est courante.

Par exemple, l’ONG israélienne Kav LaOved a conclu en 2020, sur la base d’une enquête (non représentative) Enquête Facebook parmi les migrants thaïlandais, 83 pour cent d’entre eux gagnent moins que le salaire minimum et travaillent trop d’heures, souvent dans des conditions dangereuses. Certains travailleurs se plaignent de dormir dans des chambres sans fenêtres (ce qui est contraire à la réglementation), avec des installations sanitaires inadéquates et un accès limité aux soins médicaux.

L’année dernière, le gouvernement américain a qualifié les conditions de vie de certains migrants thaïlandais de travail forcé. Par contre : un recherche représentative de 2019 conclut que beaucoup de choses se sont améliorées au cours des dernières décennies et que 60 pour cent des répondants thaïlandais recommanderaient un emploi en Israël à leurs amis.

6. Quel impact la guerre a-t-elle sur les migrants thaïlandais ?

La plupart des migrants thaïlandais refusent le rapatriement. Le chômage attend chez lui et quiconque vient de commencer aura probablement une dette de départ de 2 000 euros auprès de l’intermédiaire. Le gouvernement thaïlandais s’engage à verser aux rapatriés une indemnisation unique de 390 euros.

Selon le sociologue du marché du travail Yahel Kurlander (Collège Tel-Hai), il existe aujourd’hui une grave pénurie de travailleurs, en partie à cause de la disparition de 15 000 travailleurs migrants palestiniens. « Quiconque reste recevra une prime de 465 euros. Dans un avenir proche, ils seront également dans une meilleure position de négociation pour demander des salaires plus élevés ou de meilleures conditions de vie.»

Reste à savoir si cet effet sera durable, selon Kurlander. « Le gouvernement envisage désormais également d’inviter des migrants du Sri Lanka et du Vietnam. Cette guerre mettra donc probablement fin à la coopération exclusive avec la Thaïlande.»



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