“Ensemble, ils sont en sécurité, libres et éternellement jeunes d’esprit”


La photographe Lieve Blancquaert met en lumière une image qui la marque, l’émeut et/ou l’intrigue.

Cher Blancquaert21 mai 202211:00

L’Américaine Barbara Peacock photographie les gens dans leur lieu le plus intime et le plus vulnérable, là où nous dormons. Elle nous dit à quel point nous différons les uns des autres, mais aussi à quel point nous nous ressemblons tous. Cette photo de Becky et Dave, deux amants âgés (65 ans), instille un sentiment de familiarité. Il y a pas mal de temps derrière eux, les cheveux gris et la peau pigmentée de vie et de lumière. Ensemble, ils sont en sécurité, libres et toujours jeunes dans l’esprit.

Statue Sabiha / Ciman

La réalisatrice de ces images, la photographe turque Sabiha Çimen, avait 12 ans lorsqu’elle a été enseignée dans cette école coranique réservée aux filles et a mémorisé les 6 236 versets du livre saint. Des années plus tard, elle est revenue en tant que photographe autodidacte pour enregistrer ses souvenirs de cette époque avec son appareil photo Hasselblad. Ces photos (du livre Hafiz de Sabiha Çimen, aujourd’hui membre du collectif Magnum) peut surtout évoquer le sentiment d’un endroit froid, où les filles sont obligées de mémoriser le Coran avec la discipline d’un robot. Mais dans une interview avec la photographe j’ai lu que pour elle c’était aussi un endroit chaleureux plein de vie, avec des filles fortes, fortes et intelligentes. Comme c’est merveilleux de pouvoir entrer dans un monde à travers des photos qui nous est complètement étranger d’une part, mais qui est aussi si reconnaissable en même temps. Ces jeunes filles sautillent, se balancent, ont des boutons, se font des câlins et surtout aiment le rose.

null Image Baie d'Ismoyo

Image Bay Ismoyo

Elle était habillée comme une princesse lors de ses grandes vacances. Une couronne d’or a été placée sur sa petite tête. Cela promettait d’être une belle journée pour la petite salsa de Gorontalo, en Indonésie. Ce qu’elle n’aurait pas pu prévoir, c’est qu’à ce moment de cette photo, en une fraction de seconde, sa vie de fille et de femme serait à jamais différente. Par souci de tradition et de « pureté », plus de 200 millions de filles subissent encore aujourd’hui ce traitement dont on peut presque sentir la douleur sur cette photo. Pas encore les ramifications mentales. Pourtant, les mutilations génitales semblent imparables.

null Image Audrey Jeane

Statuette Audrey Jeane

Selon l’ancienne tradition en Mongolie, l’art de la chasse se transmet de père en fils par l’intermédiaire d’un aigle. Ici, nous ne voyons pas un fils, mais une fille, posant avec son compagnon ailé et les yeux bandés. Ce festival de lumière et de couleur montre de nombreuses belles structures de fourrure, de textiles brodés, de laine, de plumes et de cuir. Les aurores boréales bleues froides sur le visage de la fille me font penser qu’il y a de la neige dehors. A l’intérieur de sa yourte, le décor est intemporel. Rien ne nous indique l’année 2022. Ou peut-être : une fille qui chasse, l’émancipation chez les Kazakhs en Mongolie ?

null Statue Rabea Edel

Statue Rabéa Edel

Je doute du choix. Non pas parce que je ne pense pas que la photo, celle du prix Portrait of Humanity de cette année, soit belle ou puissante, mais plutôt par réflexe pour protéger la personne sur la photo. En Chine, les personnes transgenres sont toujours considérées comme des malades mentaux par les autorités médicales. Elles se sentent comme des femmes, et dans l’intimité de leur propre chambre, elles pourraient peut-être se maquiller et porter une robe de soie douce. Mais une fois au-delà de ces murs de sécurité, le risque de représailles est très élevé. Ce portrait anonyme dégage autant de vulnérabilité que de force. Ce courage de se montrer vaut à lui seul une publication.

null Statue de Jacob Ehrbahn

Statue Jacob Ehrbahn

Une tente familiale syrienne dans la ville turque d’Edirne, près de la frontière grecque. Plus de 6,5 millions de Syriens ont fui la violence dans leur pays ces dernières années. La moitié d’entre eux sont des enfants. S’ils ne se noient pas, nous les laissons vivre, mais souvent dans les conditions les plus épouvantables. Cette tente familiale en plastique translucide ne peut rien cacher. Ce qui me frappe immédiatement, c’est un sac avec un drapeau français et aussi – pour plus de précision – « France » dessus. Comme une marque brillante. Est-ce un message ? La nostalgie de l’Europe ? À la sécurité? Chaleur? Un croissant? Ces enfants arrivent à peine à s’implanter à Fort Europe. Est-ce à cause de leur apparence ? Leur foi ? Tous les enfants n’ont pas les mêmes droits, mais chaque enfant sait ce que c’est que de jouer. Ou dansent-ils ? Se chamaillent-ils ? Nous ne les connaissons pas. Nous ne leur demandons pas.

null Image AFP

ImageAFP

Les proportions, le monumental, les plis de la statue de marbre et de la soutane du Pape François. Tout s’intègre parfaitement ici. Cette photo peut sembler intemporelle à première vue, mais le masque facial du confesseur nous indique qu’il s’agit d’une photo très récente. Et qu’apparemment le pape doit aussi se confesser de temps en temps. Au-delà de cette image grandiose, je me demande immédiatement ce qu’implique sa confession. A-t-il manigancé quelque chose ? Avez-vous dit quelque chose de stupide? Son pouvoir abusé ? La surpopulation de la planète causée par la poursuite de la lutte contre la contraception ? Seul le confesseur le saura jamais. Et François doit-il maintenant aussi, comme j’avais l’habitude de prier, un Notre Père et trois Je vous salue Marie pour faire amende honorable auprès de Dieu ?

null Photographe d'images Sven Jacobsen c/o SCHIERKE ARTISTS

Photographe d’images Sven Jacobsen c/o SCHIERKE ARTISTS

Espagne 2019. Qu’il est beau de ne faire qu’un, de fusionner avec la nature. Le corps de cette fille semble brisé par la surface mouvante de l’eau. Mais en dessous il n’y a que du pouvoir et de la vie. Une jeunesse au long cours et des vacances d’été. C’est peut-être de la chance. C’est Ophélie bien avant sa mort, alors qu’elle voulait encore faire du surplace. Je suis jaloux. Je veux aussi nager en apesanteur les yeux ouverts, loin du bruit. Cette image intemporelle, peinte avec un appareil photo, pour ainsi dire, me donne envie de ma jeunesse, mais beaucoup plus de silence.



ttn-fr-31