Encore quelques jours pour visiter l’exposition "Lisette Carmi. Jouer fort" à la Gallerie d’Italia de Turin jusqu’au 22 janvier 2023. Les années 60 et 70 racontées comme jamais


Stjouer fort. Jouez toujours. Une vie polyphonique, apprenant tout, observant sans juger, changeant sans peur, donnant un sens à chaque petite chose.
Entre musique, photographie et spiritualité il a vécu cinq viescomme l’avait prédit Babaji Herakhan Baba, le maître spirituel qu’il avait rencontré en Inde en 1976 et auquel il consacrerait une dévotion infinie.
De là la belle biographie prend son titre : «Les cinq vies de Lisetta Carmi» écrit par Giovanna Calvenzi et publié il y a dix ans par Bruno Mondadori. Epuisé depuis un certain temps, heureusement de retour en librairie en mars prochain réédité par Contraste. Il recueille la vie intense et résolument anticonformiste de cette femme que définir à l’un de ses métiers ou passions serait terriblement réducteur.

Une vie extraordinaire

Juive, fuyant les lois raciales, elle abandonne une carrière prometteuse de pianiste pour rejoindre les luttes sociales. Nous sommes dans les années 60, Lisetta participe et photographie. Elle le fait avec tout elle-même – tête, corps et cœur – au cours de sa vie intense qui traverse le XXe siècle et se prolonge dans le troisième millénaire riche d’expériences et de rencontres vraiment extraordinaires. Témoin et protagoniste des changements, Carmi réalise le premier reportage sur le port de Gênes qu’il deviendra une exposition dénonçant les conditions inhumaines de chameaux et l’un des travaux les plus intéressants de sa carrière. En 1965, il commence l’enquête sur les travestis, une œuvre d’époque et fondatrice – trop nombreux ont tenté d’en reproduire l’esprit sans pouvoir en saisir le secret – qui perdurera jusqu’au début des années 70. Les travestis deviennent ses amis, son enquête est libre, sans jugement, terriblement humaine, émotionnellement impliquée.

« Je n’ai jamais cherché les sujets à photographier, ils sont venus vers moi » déclarera. Pendant un certain temps, les travestis ont fait partie de sa vie. Accueillie dans leur communauté, elle a su révéler leur quête d’identité, anticipant de plusieurs décennies l’approche interprétative du thème de l’identité de genre. Le livre qui contient cet ouvrage devient légendaire, convoité et introuvable pendant de nombreuses années. La genèse du volume le plus curieux qu’on puisse imaginer intervient pour renforcer la mythologie : rejeté par tous les éditeurs, même ceux de gauche, il fut donné à la presse par Sergio Donnabella, un monsieur qui n’était pas éditeur mais qui avait le courage d’un néophyte. En fait, il en édite quelques milliers d’exemplaires à ses frais. Cela semblerait une fin heureuse. Non. Il y a un nouveau problème : aucune librairie ne veut l’exposer. Trop scandaleux, malgré les années rebelles et la libération sexuelle qui brise les barrières du couple mais pas celles de l’identité. LES s’habiller ils doivent être cachés parmi les étagères. Ce qu’il faut faire? Barbara Alberti, journaliste et écrivain, grande amie de Lisetta, récupère les copies et, petit à petit, les ramène chez elle. Bref, ils deviendront « la base du lit, les tables, les bibliothèques, les murets, les canapés et les chaises qui changeaient de forme chaque jour en fonction du nombre que nous donnions aux amis » déclarera l’écrivain. D’une manière résolument originale, il le conserva et le fit circuler.

Ezra Pound photographié dans Zoagli par Lisetta Carmi

Voyages : Amérique du Sud et Orient

Lisetta Carmi parcourt le monde : d’abord l’Amérique du Sud puis l’Orient où elle rencontre Babaji Herakhan Baba.

C’est la rencontre qui va changer sa vie. Il embrassera la spiritualité de son maître et pour un temps Herakhan, au pied de l’Himalaya, deviendra sa maison. Si vous pensez que nous avons atteint la fin de l’histoire, vous vous trompez. Alors qu’on l’imagine vêtue d’un simple sari dans l’ashram indien, Dalmine, une entreprise sidérurgique italienne, lui commande un travail qui s’intitulera Eaux siciliennes. Ici, sur l’île des années 70, il photographiera des gens et des paysages, à sa manière : empathique, poignant, parfois visionnaire. Des caractéristiques qu’il gardera en dépeignant des personnages culturels qui donneront vie à des représentations parfois simples et d’autres brillantes. Comme, comment la série Ezra Poundprise dans sa maison sur les hauteurs de Zoagli, en Ligurie : un épisode heureux de la photographie de portrait et la rencontre entre deux personnalités exceptionnelles.
En 1976, Lisetta Carmi a commencé la construction de l’ashram Bhole Baba, à Cisternino, dans les Pouilles, pour répandre la pensée de son maître Babaji. Il a déménagé pour vivre dans un trullo voisin et, dans les dernières années de sa vie, dans le centre de Cisternino.

Vis fort, vis comme tu veux

Vivez fort, vivez comme vous voulez, vivez sous différentes latitudes, en observant, en embrassant les êtres humains, les esprits et les maîtres. Comme la vie de Lisetta Carmi est belle et quel privilège de l’avoir connue et écoutée avec ses histoires de ce monde et d’autres mondes ; quel honneur de lui avoir cuisiné mes délicieuses soupes de légumes (selon elle), et quelle merveille d’avoir tenu ses mains particulières, douces comme du velours, toujours chaudes, capables d’infuser quelque chose que je ne peux pas définir mais que j’imagine certainement avoir un accord avec sa spiritualité.

Lisetta Carmi dans un portrait de Toni Thorimbert

Et c’est justement la spiritualité qui a guidé la vie de cette grande femme qui nous a quittés en juillet 2022 à l’âge de 98 ans, d’apparence élancée, de très petite taille, des yeux vifs et bleus on ne peut plus bleus, des cheveux crépus et fous, fort comme un roc. Étonnant par les choix extrêmes et audacieux avec lesquels il a fait une embardée soudaine sur la route qui semblait tracée. Si je pense aux adjectifs qui peuvent le définir, je dirais anticonformiste et radical. D’une radicalité légère qui n’offense pas, ne crie pas, n’attaque pas mais, au contraire, est guidée par le karma de la justice d’ici et d’ailleurs. Et je suis sûr que vous seriez d’accord avec cette définition essentielle.

Toni Thorimbert devant son portrait de Lisetta Carmi à la Gallerie d’Italia à Turin

L’exposition « Lisetta Carmi. Jouer fort »est à la Gallerie d’Italia à Turin jusqu’à au 22 janvier 2023. Organisé par Giovanni Battista Martini, précieux dépositaire et promoteur des archives du photographe, il comprend 150 images prises entre les années 60 et 70 pour une exposition divisée en huit sections, accompagnées de l’audio de pièces de Luigi Nono et Luigi Dallapiccola et de la voix de Lisetta Carmi elle-même. Dans l’exposition, il y a une vidéo consacrée au travail du réalisateur Alice Rohrwacher.

Sardaigne de Lisetta Carmi, entre paysage et anthropologie

Ce premier rendez-vous « Lisetta Carmi. Jouer fort », lancer le projet La grande photographie italienne: un programme d’expositions d’auteurs célèbres de la production italienne, organisé par Roberto Koch, fondateur et propriétaire de l’agence Contrasto et éditeur de la maison d’édition homonyme.

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Pour ceux qui veulent en savoir plus, en plus de lire la biographie susmentionnée à paraître en mars 2023 pour Contrasto, « I travestiti. Photographies en couleurs », n’est pas le livre mythique mais il vaut quand même la peine de découvrir l’œuvre. Il y a évidemment le catalogue de l’exposition actuellement en cours à Turin : « Lisetta Carmi. Jouer fort » (ed.Galleria d’Italia/Skira) et il y a quelques livres fondamentaux qui peuvent offrir des connaissances beaucoup plus approfondies : « Lisetta Carmi. J’ai photographié pour comprendre par Lisetta Carmi et Giovanna Chiti (éd. Peliti associati) ; « La beauté de la vérité » (éd. Postcart), le coffret édité par Giovanni Battista Martini. Juste pour en nommer quelques-uns. Et, enfin, sa vie fait l’objet d’un documentaire du réalisateur Daniel Ségré par titre : Une âme en chemin.

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