Emma est le Désir. Elle attend de se sentir satisfaite et satisfaite mais cela n’arrive jamais et elle continue donc à désirer. Elle est convaincue que les autres sont toujours meilleurs qu’elle, qu’ils ont des vies plus intéressantes


Uune obsession, un tomber amoureux. Mais aussi une double littéraire, une sœur. C’est ainsi que l’écrivain Antonella Lattanzi voit Madame Bovary, L’inoubliable héroïne de Gustave Flaubert qui divise les opinions depuis près de deux siècles.

Livres à lire : cinq héroïnes littéraires de 2024

Carrière et capricieux ou libre et courageux ? Qui était vraiment Emma, ​​née Rouault, fille unique, élevée en internat par des religieuses et vivant dans la ferme de son père, qui a épousé Charles Bovary sans l’aimer, qui s’est jetée dans les bras des autres puis s’est suicidée ? Lattanzi pense la connaître parfaitement, après d’innombrables lectures du roman, et lui dédie l’essai. Comprendre le cœur des autres dans lequel il démêle la personnalité de Bovary, interprète celle de Flaubert et de Charles et trace une carte littéraire de personnages qui ressemblent à l’héroïne, comme le partisan Milton, dans Une affaire privée par Beppe Fenoglio, et le consul Firmin par Sous le volcan par Malcolm Lowry.

Les pages du roman sont un miroir, Emma c’est moi, dit Lattanzi, dont la vie entrevoit parmi les personnages qu’il évoque, s’entremêle avec celle d’Emma mais seulement le temps d’un clin d’œil, sans envahir l’espace de cette femme dont L’histoire est banale, voire odieuse, mais que le style majestueux de Flaubert a rendu gigantesque.

Antonella Lattanzi a écrit pour la télévision et le cinéma et a à son actif de nombreux romans, dont « Ce jour qui se profile » (HarperCollins, Premio Scerbanenco 2021) et « Cose che non si narrato » (Einaudi, finaliste au Premio Strega 2024). (Photo de Rosdiana Ciaravolo/Getty Images)

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Madame Bovary ?
Bizarrement non. Pourtant, c’est un livre que j’ai lu plusieurs fois. Je me souviens d’une lecture en particulier, à l’époque où j’étais avec un petit ami oppressant et jaloux, j’avais peur qu’il puisse même contrôler mes pensées. J’ai plongé dans le livre et je me suis senti plus fort pour la première fois. Emma m’a appris le courage de ne pas avoir peur des conséquences, elle m’a libéré d’une relation toxique. Je pensais que j’étais elle et je ne savais pas que je l’étais. Les livres, parfois, vous sauvent vraiment.

Emma attend toujours quelque chose, que sa vie commence enfin, que le meilleur soit à venir. Pourtant, rien ne se passe.
Emma est le Désir. Elle attend de se sentir satisfaite et satisfaite mais cela n’arrive jamais et elle continue donc à désirer. Elle est convaincue que les autres sont toujours meilleurs qu’elle, qu’ils ont des vies plus intéressantes. Tout comme cela arrive à moi et à beaucoup de gens. Je crois que le plus grand désir de Madame Bovary est d’être un homme. Ce qui était le désir par excellence : inaccessible. Emma a une fille qu’elle n’aime pas parce que, dit-elle, elle aurait voulu un fils : « Les hommes peuvent s’autodéterminer et les femmes ne le peuvent pas ». Tragiquement vrai encore aujourd’hui.

Comprendre le cœur des autres par Antonella Lattanzi, HarperCollins, 176 pages, 18 €

Le livre date de 1856, les femmes n’avaient pas de voix mais Emma, ​​c’est la liberté absolue. Est-ce cela qui fait de lui un grand personnage ?
Aussi. Il incarne la liberté, il n’a peur de rien, il décide de se marier, de changer de ville, d’avoir un enfant, de faire des amants et décide comment mourir. Prononce l’une des phrases les plus emblématiques de la liberté d’une femme. Lorsqu’elle est désespérée, sans argent et qu’elle sait que personne ne l’aidera, elle se tourne vers le notaire qui voudrait la posséder et lui répond : « Je suis à plaindre, mais pas à vendre ! ».

Flaubert aime-t-il Emma ?
L’écrivain était incapable de joie, un misogyne qui vivait toujours avec sa mère, qui rejetait les relations amoureuses, se renfermait sur lui-même. Il se livre à une mêlée avec son personnage, il ne voulait pas l’adorer mais s’il l’a créée si grande, pleine d’humanité, il a dû l’aimer de force. Et le seul moment du roman où cet amour est accordé est le suicide du protagoniste. Dans l’agonie de la mort causée par le cyanure, Flaubert se désespère également. Même s’il ne l’admettrait jamais.

Et Charles Bovary, dont l’auteur se moque tout au long du roman, que tout le monde qualifie d’inepte, est-il vraiment un personnage si négatif ?
A mon avis non. Charles refuse à plusieurs reprises d’accepter la réalité, d’admettre les trahisons de sa femme. Il y a quelque chose de très humain dans le fait de ne pas vouloir souffrir, de ne pas vouloir percer le voile de vérité qui peut briser votre vie. Nous pouvons tous nous identifier à Charles.

Vous soutenez que le roman contient aussi une veine d’horreur. Pourquoi?
Le protagoniste pourrait être une sorte de poltergeist qui prendrait possession d’Emma. Elle est possédée par le désir qui guide chacune de ses actions. Pour mourir, il choisit la méthode la plus douloureuse et la plus longue et après l’agonie, quand il n’est plus là, ce désir semble comme un esprit qui s’installe en Charles et le possède. A tel point qu’il mourut sur le banc sur lequel Emma rencontrait ses amants. Flaubert écrit : « Pour l’imiter, il signait des lettres de change. D’outre-tombe, elle l’a corrompu.

L’auteur français affirmait avoir écrit un roman sur rien. Pourquoi?
Il parlait du néant qui est nous. Finalement l’histoire est banale et non inventée, elle a été suggérée par un ami et tirée d’un article de journal. Une femme qui trompe son mari puis se suicide, même tragiquement, n’a rien d’exceptionnel. Ce qui fait la grandeur du roman, c’est son style, qui est même cinématographique même si le cinéma n’existait pas à l’époque. Cela nous dit que l’imagination l’emporte sur l’originalité de l’histoire.

iO Donna © TOUS DROITS RÉSERVÉS



ttn-fr-13