Elle est véritablement « une femme de notre temps », comme l’indique le titre de son dernier film. Toujours sans cascades. Car, dit-il : « Je suis le Tom Cruise du cinéma français »


RÉ.ateci plus Sophie Marceau. Pour contrebalancer le fantasque et le malmostose. Demandez-nous d’interviewer souvent Sophie Marceau, car son côté punk l’emportera toujours. Même sur la robe fleurie qu’elle porte aujourd’hui. Nous aimons Sophie Marceau. Les sondages d’outre-Alpes le précisent : elle ne cesse d’être « l’actrice préférée des français »mais aussi sous nos latitudes nous revendiquons le choix.

Sophie Marceau, une femme de notre temps

Sophie nous met de bonne humeur lors de la conférence de presse pour sa présentation nouveau film, Une femme de notre tempsau Festival de Locarno répond à la question essentielle « Qu’est-ce qui vous lie à la Suisse ? », « Le chocolat, les coucous et les banques ». Oui, oui, il l’a vraiment dit, pour ajouter après une pause d’une durée parfaite, « Entre nous », qui reste entre nous.

Nous sommes allés relire l’interview que nous avions fait pour elle en 2000 007 : Le monde ne suffit pas dans lequel elle jouait la méchante et James Bond était encore Pierce Brosnan. A cette époque, la France l’aimait un peu moins – elle travaillait trop à l’étranger et sa liaison avec Andrzej Żuławski (père de son fils aîné, Vincent) l’avait conduite dans un monde à part – alors on lui demandait : tu ne veux pas, Sophie ?

Sophie Marceau au 15e Festival du film francophone d’Angoulême le 26 août 2022 à Angoulême, France. (Photo by Stéphane Cardinale – Corbis / Corbis via Getty Images)

Il répondit avec la tranquillité du Bouddha : « Les Français seront contents de mon choix. Bond va partout et je l’aimerai. Je suis sûr. Et ce n’est pas eux qui m’ont découragé, mais les Américains. Ils tiennent les acteurs européens en haute estime, ils pensent que nous sommes une autre race. Comme si être français me condamnait à ne travailler que dans des drames psychologiques à petit budget où tout le monde fume des Gitanes et dit des bêtises. C’est depuis que j’ai commencé à travailler que tout le monde m’a conseillé et m’a découragé, mais au final je fais toujours mon truc ».

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L’hommage de sa France

Son pays, où l’on fume aujourd’hui moins de Gitanes, mais où l’on tourne toujours des drames psychologiques à petit budget, s’apprête à lui vouer un grand honneur (Marianne l’avait déjà incarnée) : la Cinémathèque française donne le coup d’envoi du 29 septembre à une rétrospective de l’actrice qui, dit Frédéric Bonnaud, son directeur, « était l’adolescent le plus aimé des Français ». Étroitement liée aux superlatifs, au ciné-nationalisme et à l’idée loin d’être farfelue de faire son truc dans un univers où chacun s’entoure de conseillers, Sophie Marceau répond qu’elle ne voit pas de revendication à l’hommage après que le cinéma d’auteur l’ait négligé longtemps, peut-être pour le punir Un cœur brave Et Belfagor. Au contraire… « En fait, je m’en fiche un peu » explique un iO femme. « Je suis honoré et heureux et j’aime parler de cinéma – même dans les interviews. Je dis que je n’ai jamais envie d’en faire, mais en réalité j’aime le dire, surtout aux gens qui aiment le cinéma, parce que ça fait partie de ma vie et de mes amours. Toutefois Je ne suis pas très sensible aux honneurs et puis je suis timide. Mais au fond je n’ai pas le problème du manque de reconnaissance : dès le début, et j’ai commencé très tôt, j’ai senti qu’il y avait un amour fou envers moi ».

Sophie Marceau avec le réalisateur d’Une femme de notre temps, Jean-Paul Civeyrac, et Giona A. Nazzaro, directrice du festival de Locarno. (Photo de Rosdiana Ciaravolo / Getty Images)

Le code d’honneur de Sophie Marceau

La recherche de confirmation est l’un des ressorts qui émeut nombre de ses confrères. N’est-ce pas votre cas ?
Je n’ai jamais cherché de confirmation. Pas même quand j’étais très jeune, quand j’étais inexpérimenté et que j’aurais eu toutes les raisons. Mes débuts n’ont pas été progressifs. J’ai commencé à grande vitesse et j’ai tout de suite pris de la hauteur (elle avait 14 ans quand elle a fait ses débuts en L’heure de la pomme, ed). Mais j’ai travaillé avec des gens formidables et j’ai toujours fait ce que je voulais. Deux grandes fortunes.

Toujours dans son dernier film, qui sera le premier de la rétrospective, après la présentation au Festival du film de Locarno, Une femme de notre temps par Jean-Paul Civeyrac, c’est une femme déterminée : commissaire de police, droite et exigeante même avec elle-même. Cependant, sa vie se précipite à la découverte de la trahison de son mari.
Un titre comme celui-ci, « Une femme de notre temps », attire l’attention. En fait c’est une femme qui prend son destin en main, mais le destin lui échappe car la vie c’est comme ça, on ne peut pas tout décider. Elle a trouvé un équilibre, elle a un mari extraordinaire, une fille qui l’adore, une belle maison. Les flics ont la vie dure, ils voient des choses terribles, ils ont besoin d’une contrepartie pour s’ancrer dans la réalité et elle s’est construite elle-même. Mais la vie la prépare à autre chose et elle, malgré tout, honnête, droite, exigeante, même avec elle-même, suivra son propre code d’honneur.

Une femme de notre temps.

Un rôle très physique, il a dû apprendre à tirer à l’arc. Avait-il un doublé pour les scènes les plus sportives ?
Ah non! Je n’ai jamais de doublure cascadeuse ! Je suis Jean Paul Belmondo, le Tom Cruise du cinéma français ! En fait, quand j’étais plus jeune, j’aurais adoré faire plus de scènes d’action dans mes films. Et j’ai beaucoup aimé le travail de l’archet, c’est physique et mental à la fois, j’y ai mis beaucoup d’efforts, je voulais que le résultat soit beau. Pour tirer vous faites des mouvements vraiment cinématographiques, le corps est entièrement focalisé sur le geste, le contrôle sur soi doit être total. Lorsque la flèche est lâchée, le corps démarre avec elle et doit être en parfait équilibre, une petite tension dans un muscle de l’épaule suffit pour manquer la cible. Il y a une grande harmonie autour de ce geste et je trouve que l’arc est le véritable protagoniste du film. Mon personnage lui ressemble : quand commence pour elle le processus de prise de conscience de l’imperfection, du mensonge de sa vie, il devient imparable. Et ça va droit au but.

Il pensa à Jeanne Moreau La mariée en noir de Truffaut lors de sa vengeance ?
Non, mais j’ai pensé au roman de Simenon La vérité sur Bébé Donge et toutes les histoires de femmes qui ont tué leur mari et qui ont avoué en silence. Les femmes du film noir prennent presque toujours un statut symbolique, une dimension transcendantale.

Le regard des autres

C’est un peu le même sort que les acteurs, et surtout les actrices, quand, comme vous l’avez dit, ils deviennent les destinataires de « l’amour fou ».
Mais il faut se protéger des amours trop intenses. J’aurais pu faire 150 « apple times » si j’avais voulu. Ils avaient mis une autoroute devant moi, je pouvais la prendre et arriver à trente ans comme ça, submergé par l’adoration générale. Mais j’avais la curiosité d’aller ailleurs, sans trop connaître le métier d’actrice. Mais nous ne pouvons empêcher ceux qui nous regardent, et peut-être nous aiment, de poser sur nous un regard plein d’attentes. Je l’ai vite compris. Pour contredire les attentes, il faut du courage et de l’insouciance : c’est ce que fit Orson Welles avec Rita Hayworth, il lui coupa les cheveux et la teinta en blond (pour La dame de Shanghai, éd.). Un scandale ! Ce n’était plus elle… Mais ce film est entré dans l’histoire du cinéma et elle avec lui. Après tout, je veux toujours qu’ils me demandent de faire des choses inattendues.

Claude Pinoteau dans Merci la vie! Aventures cinématographiques dit l’audition qu’il a fait pour elle Le temps des pommes: « Lorsqu’elle est arrivée avec son père au bureau du 15, rue Madeleine-Michelis à Neuilly, ce fut le coup de foudre. Contrairement aux autres adolescentes, elle était plus sérieuse, avec le léger sourire d’une Joconde. Elle s’est gardée droite, charmante, disponible… ». C’est reconnu ?
Ce moment a tout changé. Et si personne ne vous apprend à être actrice, on vous apprend encore moins à être célèbre. J’ai essayé toute ma vie, pendant que les choses changeaient, de continuer à être en harmonie avec moi-même, même lorsqu’il m’est arrivé d’être lynché sur la place et de m’adorer immédiatement après. Le voyage a été long, du coup, à 13 ans tu es quelqu’un d’autre, ils changent même de nom.

Avec Pierce Brosnan dans 007 : le monde ne suffit pas. (Photo de Keith Hamshere / Getty Images)

Sophie Maupu (de son vrai nom) existe-t-elle toujours à l’intérieur de Sophie Marceau ?
Aujourd’hui, j’aurais du mal à les distinguer. Sophie Marceau m’a certainement beaucoup appris et m’a ouvert des portes. Avec ce nom, une transformation est certainement venue, si je pense qu’enfant, je pleurais à chaque fois qu’ils prenaient une photo de moi …

Et elle a fini par incarner des femmes fortes, une archère vengeresse, ou encore la protagoniste de son avant-dernier film, Tout va bien, de François Ozon.
J’aime les corps forts, et j’aime les endroits où ils sont, au cinéma et dans la vie : les commissariats, les hôpitaux… J’aimerais qu’ils me demandent à nouveau de jouer une policière, je ne l’ai jamais fait, je ne le fais pas Je ne sais pas pourquoi personne n’y a pensé ! J’avais été en compagnie de soldats dans Fort Saganne, mais j’avais des crinolines. Et puis j’adore les gares ! Je suis allé chercher mon fils dans le train l’autre jour et dès que je suis entré dans la gare, mon esprit est revenu à Anna Karénine (qu’il a joué en 1997, éd), j’ai revu la vapeur de la locomotive avant le geste. Nous sommes tous imprégnés d’images comme ça.

Dans votre album, quelles places laissez-vous aux futures images ?
J’aime vieillir. Je ne serai pas la première actrice à le dire, mais je le pense vraiment. Je me suis toujours imaginé vieux, sans angoisse. Je sais que cela limitera mes possibilités au cinéma. Mais je ne veux pas perdre le contact avec la réalité et je ne veux pas me cacher. Aller contre le temps serait une guerre perdue d’avance, il gagne, donc je préfère être son ami. Et l’écran ne m’a jamais trahi jusqu’à présent.

iO Donna © REPRODUCTION RÉSERVÉE



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