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« Dans le cadre de son mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu’il faut pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant. » Ces 23 mots prononcés par Mario Draghi, alors président de la Banque centrale européenne en juillet 2012apaisé la panique qui engloutissait alors l’euro. La semaine dernière, le même homme a publié 393 pages sur L’avenir de la compétitivité européenne.
En tant que président de la BCE, Draghi a fait face à une crise immédiate avec les instruments dont il disposait. Aujourd’hui, cependant, il conseille des politiciens effrayés, des bureaucrates assiégés et une population désenchantée sur les raisons et les moyens de faire un effort considérable. L’objectif est, une fois de plus, de sauver le projet européen qu’il aime de ce qu’il qualifie de « défi existentiel ».
Selon les termes de son rapport : « Si l’Europe ne parvient pas à devenir plus productive, nous serons obligés de faire des choix. Nous ne pourrons pas devenir à la fois un leader dans les nouvelles technologies, un modèle de responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale. Nous ne pourrons pas financer notre modèle social. Nous devrons revoir à la baisse certaines, voire toutes, nos ambitions. » En résumé, l’UE risque l’échec.
Le monde d’aujourd’hui, souligne le rapport, est particulièrement mal adapté à l’UE. L’ère du commerce dynamique et du multilatéralisme est en train de s’éteindre. L’Union a perdu son principal fournisseur d’énergie bon marché, la Russie. Surtout, elle entre dans une ère de conflits géopolitiques dans laquelle les dépendances économiques risquent de se transformer en vulnérabilités.
Pire encore, l’UE entre dans ce nouveau monde avec de nombreuses fragilités.
Selon le rapport, « le revenu disponible réel [per head] a presque doublé aux États-Unis par rapport à l’UE depuis 2000 ». Cela s’explique en grande partie par le fait que l’UE a pris beaucoup de retard sur les États-Unis (et même sur la Chine) dans la révolution numérique. Seules quatre des 50 plus grandes entreprises technologiques du monde sont européennes. Les prix de l’énergie dans l’UE sont relativement élevés, notamment par rapport à ceux des États-Unis. La démographie de l’UE est également désastreuse. Ainsi, «[i]Si l’UE parvenait à maintenir son taux de croissance moyen de la productivité depuis 2015, il suffirait seulement de maintenir le PIB constant jusqu’en 2050. » Les Européens ne sont pas en mesure de se protéger, comme l’a montré la guerre en Ukraine.
L’UE ne peut pas changer le monde. Mais elle peut – et doit – se changer elle-même pour y faire face. Ce qui ressort le plus clairement de ce rapport, ce sont les fils conducteurs qui relient ces différents maux. Les plus importants sont la fragmentation, la surréglementation, la réglementation inappropriée, les dépenses insuffisantes et le conservatisme excessif. Parmi ces maux, la fragmentation est la plus néfaste.
Ces problèmes apparaissent à plusieurs reprises dans le rapport. Il note que « l’Europe est coincée dans une structure industrielle statique, avec peu de nouvelles entreprises qui surgissent pour perturber les industries existantes ou développer de nouveaux moteurs de croissance. En fait, aucune entreprise européenne avec une capitalisation boursière de plus de 100 milliards d’euros n’a été créée de toutes pièces au cours des 50 dernières années, alors que les six entreprises américaines dont la valorisation est supérieure à 1 000 milliards d’euros ont été créées au cours de cette période. » En conséquence, la liste des trois premiers investisseurs dans la recherche et l’innovation (R&I) est dominée par les entreprises automobiles depuis 20 ans. L’Europe risque de devenir un musée industriel.
Pourquoi ? La fragmentation est la principale raison. Ainsi, le marché unique n’existe pas vraiment, en termes de résultats ou d’intrants, notamment de capitaux. Le secteur universitaire est lui aussi fragmenté, tout comme le soutien public à la R&I. Le manque d’échelle et de prise de risque signifie que les sources de financement américaines sont bien plus importantes que celles de l’UE. En conséquence, « de nombreux entrepreneurs européens préfèrent chercher des financements auprès de capital-risqueurs américains et se développer sur le marché américain ».
La surréglementation constitue également un problème majeur. Cela est dû en partie à un conservatisme excessif, mais aussi à la tendance des États membres à imposer leurs propres réglementations à celles de l’UE.
La fragmentation affecte également la politique énergétique et de sécurité. Il n’existe pas de marché énergétique pleinement intégré, par exemple. L’UE n’a pas non plus réussi à intégrer ses industries de défense ni ses achats d’équipements militaires. Cela augmente les coûts et réduit l’efficacité. Une telle fragmentation est inabordable, d’autant plus que la crédibilité de l’Union est en jeu. Défense américaine l’engagement est remis en question.
Inévitablement, et à juste titre, on prête attention à l’adoption mesurée et sophistiquée par Draghi de politiques commerciales et industrielles plus interventionnistes. L’une des justifications est l’inquiétude pour la sécurité. Une autre est que l’UE se dote de toute façon d’une politique industrielle, mais elle est fragmentée et les dépenses qui y sont consacrées sont dominées par les grands pays membres. La dernière est que nous savons que, si elle est bien menée, une politique industrielle peut améliorer à la fois la concurrence et le bien-être mondial. Qui pense aujourd’hui que la création d’Airbus était une erreur ? Elle a certainement été un triomphe. La leçon à en tirer est que de telles interventions de grande envergure doivent être menées ensemble, à grande échelle et avec des objectifs clairs. La création d’un nouveau système énergétique zéro carbone nécessitera tout cela. Il en sera de même pour la création d’un secteur de la défense efficace.
Malheureusement, les explications de bon nombre des problèmes décrits par Draghi, notamment la fragmentation et le conservatisme, sont aussi les raisons pour lesquelles ses solutions radicales ont peu de chances d’être adoptées. Comme il le souligne, « les politiques industrielles efficaces nécessitent aujourd’hui des stratégies qui englobent l’investissement, la fiscalité, l’éducation, l’accès au financement, la réglementation, le commerce et la politique étrangère, unies derrière un objectif stratégique convenu ». Pour y parvenir, l’UE devra procéder à des réformes radicales.
La montée actuelle du nationalisme rendra la mise en œuvre de ces réformes encore plus difficile. Les Européens risquent d’oublier les leçons de leur passé : c’est seulement en agissant ensemble qu’ils pourront espérer façonner leur avenir. Les Britanniques l’ont oublié. Les autres pourront-ils s’en souvenir et agir ?
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