Dominique Meyer : « Nomination à La Scala, de Boris Godunov à Roberto Bolle »


« LALe plus beau théâtre du monde » – selon les mots de Stendhal – s’apprête à inaugurer le saison 2022-2023: le surintendant et directeur artistique, Dominique Meyerne cache pas fierté et optimisme. Un optimisme basé sur les données : « La fréquentation a augmenté de 10 % par rapport à la pré-pandémie 2019, et les recettes par soirée sont passées de 190 mille euros à 210 mille. Les souscriptions se passent très bien, nous sommes sur la bonne voie » observe-t-il. La confirmation vient aussi « de l’extérieur »: La Scala en villele projet qui du 27 septembre au 1er octobre a apporté des spectacles gratuits dans les différents quartiers de Milana attiré plus de 20 mille spectateurs (« Beaucoup ont assisté à un concert de musique classique ou à un ballet pour la première fois »).

Teatro alla Scala : un Sant’Ambrogio historique

Le surintendant Dominique Meyer au Teatro alla Scala (photo Vittorio Zunino Celotto / Getty Images).

Nomination inaugurale, comme le veut la tradition, un Sant’Ambrogio. « La Scala est la gardienne de l’opéra italien et, en même temps, une réalité internationale : elle se doit d’être ouverte sur le monde. D’où le choix, pour le 7 décembre 2022, de Boris Godounov de Moussorgski (dans sa version originale de 1869 : plus fort, plus court, plus dramatique). Réalisé par Riccardo Chailly, avec Ildar Abdrazakov dans le rôle principal, il sera dans la belle production du réalisateur danois Kasper Holten. C’est un titre insolite, Claudio Abbado l’a réalisé en 1979 » anticipe Meyer.

Ce qui va droit au but : « Bien sûr, nous ne pouvons pas oublier le contexte de la guerre en Ukraine. Godounov elle permet enfin de faire passer deux messages : d’une part, elle démontre à quel point l’idée d’effacer la culture russe est absurde ; d’autre part, il permet des comparaisons avec la situation actuelle. Le thème est actuel, je trouve ».

Précieux à ne pas manquer

La préciosité, les raretés, dans un panneau d’affichage qui inclut le retour de Macbeth et de Andréa Chénieren plus de Lucie de Lammermoor « Sauté » pour Covid et le Salomé diffusé uniquement à la télévision pour la même raison ? « Li zite ‘ngalera de Léonard de Vinci, avec des vers en dialecte napolitain de Bernardo Saddumene. Un chef-d’œuvre comique qui s’inscrit dans cette montagne de musiques oubliées qui rendait pourtant agréables les soirées dans les théâtres du début du XVIIIe siècle. Une période intéressante car on oubliait qu’à l’époque Naples était la capitale mondiale de la musique, il y avait trois cents compositeurs. Beaucoup de ces maîtres ont commencé par des œuvres comiques, gaies et drôles, puis plus tard – à la recherche de « dignité » (sourit) – ils se sont consacrés à ces « séries ». J’aime revenir aux sources ».

Quoi d’autre? « Les contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach et – en mars 2023 – une nouvelle production qui me tient à cœur : le Pierre Grimes de Benjamin Britten réalisé par Robert Carsen et une femme à la baguette, Simone Young ».

Simone Young et Eun Sun Kim

Ildar Abdrazakov, qui sera Boris Godunov (photo Anton Welt).

Au fait : le Zeitgeist demande-t-il une attention particulière à la présence féminine ? « Je travaille depuis longtemps dans ce domaine (il a été, entre autres, directeur de l’Opéra de Vienne et du Théâtre des Champs-Élysées à Paris, éd) et j’ai toujours embauché des femmes, c’est normal pour moi. Nous recherchons l’équilibre entre émergents et « consolidés » : Simone Young, australienne, a dirigé les grands opéras, a également été surintendante de l’opéra de Hambourg, est une lionne. Pour la Bohème nous aurons le jeune Eun Sun Kim à la placesud-coréen, aujourd’hui directeur musical de l’Opéra de San Francisco ».

Le premier réalisateur à qui vous avez fait confiance ? « J’ai donné la baguette à Emmanuelle Haïm, qui s’est imposé comme un spécialiste des œuvres baroques. Je l’avais connue comme claveciniste de William Christie, je voyais qu’elle dirigeait des répétitions de temps en temps et elle avait du talent. A Vienne, j’étais au début de la carrière de Espoir Scappucci, le premier Italien à entrer dans le trou de la Scala. Mais il a mis en scène à Londres, Vienne, Paris, Berlin, Zurich et en novembre il sera au Metropolitan de New York ».

La gamme des émotions

Chef d’orchestre sud-coréen Eun Sun Kim (photo Kim Tae Hwan).

Que suggéreriez-vous de voir aux garçons, qui devant la Scala peuvent ressentir de la crainte, de la crainte? « Regardez, contrairement à ce qu’on croit, notre théâtre a un public jeune : seul un tiers des spectateurs a plus de 55 ans. Grâce au travail global de mes prédécesseurs : Stéphane Lissner avait inventé ce pass spécial moins de 30 ans… Pas besoin d’être un spécialiste, il suffit d’entrer. Il ne faut jamais oublier que l’œuvre est née d’une idée simple : mettre la plus grande variété possible d’affections en musique, créer l’émotion par l’émotion. Cependant, pour un néophyte, mieux vaut des oeuvres pas trop longues mais très dramatiques, avec une victime… Célébrons le centenaire de Franco Zeffirelli avec la reprise de son Bohèmequi reste magnifique : un chef-d’œuvre qui vous transmet toute la gamme des émotions dans les deux heures et demie de représentation ».

Liberté avec les carnets

Roberto Bolle avec Timofej Andrijashenko et Nicola del Freo (photo Laura Ferrari).

« Nous avons créé une nouvelle formule pour accompagner les nouveaux trentenaires dans la courbe qui monte jusqu’au 35 et ne les perdez pas : votre salaire n’est pas triplé à votre trentième anniversaire… Mais il existe de nombreux types de pass que chacun peut adapter à ses besoins. Carnets de billets, ils permettent par exemple l’achat d’une série de spectacles avec la liberté de choisir le titre, la date et le lieu (stands ou loges, selon disponibilité) ». Et alors: des promotions pour les moins de 18 ans, opéra gratuit moins de 30 ans, ballet gratuit moins de 30 ans, carnet prime opéra, opéra, ballet prime, ballet, mini week-end, récital de chant, saison symphonique, orchestres invités, récital de piano, une scène familiale…

«Nous appliquons notre système de soutien aux moins de 35 ans également lors des concerts du Philharmonie de la Scala. Il n’y a pas de crise d’amour pour la musique symphonique, le problème c’est les prix : c’est à nous de faire venir les gosses ». La souligner entre les concerts ? « Surligner absolument leOctave de Mahler, ce qui est une rareté (Chailly réalisera). Mais les invités sont tous d’un niveau élevé. Beaucoup de filles viendront pour Lorenzo Viotti… (des rires) « .

Quel succès, le ballet

La reprise de « La bohème » mise en scène par Franco Zeffirelli (photos Brescia et Amisano © Teatro alla Scala).

Le surintendant ne cache pas non plus sa satisfaction face à la danse. « Je suis content car cela fonctionne si bien que nous avons dû ajouter des répliques. Manuel Legris (le directeur du corps de ballet, éd) a complété le staff, a fait les compétitions… Le niveau est stratosphérique. Pour La Scala en ville, à l’Allianz Cloud, il y avait trois mille personnes même si la pluie tombait à verse. A la fin de chaque morceau, une explosion de joie du public, des ovations. Avec Legris nous avons cherché le juste équilibre entre les titres romantiques (Casse-Noisette, Le Corsaire, Le lac des cygnes, Roméo et Juliette) et un mix des grands chorégraphes contemporains : une pièce éditée pour Roberto Bolle (Rémanso par Nacho Duato, sui Valses poétiques d’Enrique Granados, inspiré de l’univers de Federico García Lorca, éd), William Forsythe avec une nouveauté absolue, Blake Works Ven fin de saison John Neumeier avec Aspects de Nijinski« .

Spécial enfants

Lorenzo Viotti (photos Brescia et Amisano).

Mais la possibilité de suivre les productions du Teatro alla Scala en streaming ? « Vient pour la Saint-Valentin, plus ou moins (sourit)en collaboration avec Vêpres siciliennes. Nous avons tout préparé, nous faisons des répétitions techniques depuis octobre 2021. Nous avons également renouvelé le style des spectacles pour enfants et – pour la première fois dans l’histoire de La Scala – nous avons commandé une œuvre sur mesure pour eux, du sujet de la Petit Prince. J’y crois beaucoup ».

Vous qui connaissez le public de toute l’Europe, en quoi pensez-vous que le public italien diffère ? «Il aime le répertoire national mais il n’est pas conservateur. Ce que je sais par expérience, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’imposer son propre style ou des œuvres particulières. Il faut rassurer et prendre les gens par la main, les guider pour découvrir des choses qu’ils n’auraient peut-être pas découvertes seuls. L’année dernière pour Le Caliste de Francesco Cavalli ils avaient peur de s’ennuyer et à la place ils sont devenus fous… Le public est capable de s’ouvrir à la nouveauté, c’est une question d’équilibre. Paradoxalement, le répertoire traditionnel italien est plus risqué : ils viennent tous avec des références – vraies ou fausses. Nous avons deux mille spécialistes lorsque nous faisons Troubadour, Aïda od Othello (des rires)« .

Régie scandaleuse ?

Et quant à la mise en scène : jusqu’où pouvez-vous oser avec nous aujourd’hui ? « On ne peut pas en rester là avec l’esthétique des années 50 : les gens ont de bons souvenirs mais, s’ils revoyaient vraiment certaines choses qui se faisaient à l’époque, peut-être qu’ils s’enfuiraient. (des rires). Je n’ai pas peur des formes innovantes de représentation théâtrale, mais je veux que l’histoire soit racontée, que ceux qui vont voir un opéra pour la première fois ne se perdent pas.

Souvent – en Italie pas tellement, en fait – les spectateurs sont confrontés à une sorte de casse-tête, on ne sait pas ce que cela signifie… Cependant, il y a une volonté de renouveau :Thaïs C’était un grand succès, et c’était une proposition très contemporaine. Même le Rigoletto par Mario Martone, après une première discussion, ce fut un succès. Bien sûr, tout est relatif : si je l’avais présenté à Vienne, beaucoup auraient dit : « Ce n’est pas assez moderne ! ».

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