Icône jamais fanée de la gauche italienne, l’une des figures les plus respectées de notre histoire politique (si l’Italie avait un Panthéon de la République, il aurait certainement une place qui lui revient). Un chiffre accompagné d’une popularité que certains en sont venus à exploiter comme « marque publicitaire » (cela s’est produit lors du lancement de la nouvelle Unità qui a publié une photo de lui de 1984, suscitant les protestations de sa famille).
Cent ans après sa naissance (Sassari, 25 mai 1922) et près de 40 ans après sa mort (Padoue, 11 juin 1984) Enrico Berlinguer il continue d’être honoré, rappelé et manqué (la chaîne YouTube avec ses discours compte plus de 5 000 abonnés). Une exposition au Mattatoio de Rome, organisée par la Fondation Berlinguer, tente de raconter aux nouvelles générations qui était le « camarade Enrico », ce monsieur au regard doux dont la photo accueille les visiteurs à l’entrée: debout, sur une scène à l’écart, alors qu’elle semble écouter quelqu’un avec intérêt.
Un chemin pour les jeunes
C’est la mission qu’il s’est donné Ugo Sposetti, 76 ans, ancien trésorier de la DS, parlementaire de longue date et dépositaire de la mémoire et des biens du PCI-PDS-DS (à travers les fondations qui ont acquis des biens et des œuvres d’art « sauvés » lors de la fusion au sein de le Parti Démocrate). Défenseur du financement public des partis dans les moments de férocité anticaste (« une valeur ajoutée pour la démocratie »), il regarde désormais l’actualité de la politique avec détachement : assis dans l’un des deux pavillons de mille mètres chacun encore en construction (l’exposition ouvrira le 15 décembre et cela continuera jusqu’à11 février), il souligne seulement qu’il est membre du Parti démocrate, qu’il a soutenu Elly Schlein mais évite tout commentaire sur le leadership du nouveau secrétaire. «Je l’ai invitée au vernissage de l’exposition», se limite-t-il à dire sournoisement.
Objets
L’attention est ravivée lorsque l’on revient à parler de l’exposition sur Berlinguer. «C’est une voie pour encourager les jeunes à s’impliquer en politique. Le message que nous voulons transmettre est que des gens comme lui ont existé. » Pour faire revivre cette saison, de nombreux objets ont été réunis : la table de réunion du PCI au siège social de via delle Botteghe Oscure n.4 (aujourd’hui le bâtiment appartient à la société financière Tosinvest du groupe Angelucci), le bureau de la maison de Berlinguer étude, les lettres que le secrétaire du PCI échangeait avec les protagonistes de l’époque, les volumes consacrés à la figure du leader communiste ou écrits par lui-même, les livres sur lesquels il étudiait étant jeune (prêtés par sa famille). «C’est l’aspect qui m’a le plus frappé – dit Sposetti, amateur de livres anciens – : à vingt ans, il lisait Giovanni Gentile et Nietzsche. C’était un intellectuel. » Cela n’a rien à voir, c’est le sous-texte, avec la légèreté impalpable des dirigeants d’aujourd’hui. De plus, d’autres témoignages nous apprennent que le « jeune Henri » se consacrait à la lecture de livres de philosophie, depuis les dialogues de Platon jusqu’à Kant. Lorsqu’à l’âge de 24 ans, et de manière quelque peu surprenante, il rejoint le comité central du PCI en tant que « membre candidat », il est défini à la fois comme un « intellectuel » et comme un « leader de la jeunesse ».
Le cursus honorum
L’exposition reconstitue une biographie du XXe siècle en cinq actes. Aborder la section « affections » (avec les objets personnels mis à disposition par la famille) semblera violer une intimité domestique qui excluait, à de rares exceptions près, même les camarades du parti de la vie familiale. Un bond vertigineux à une époque où les dirigeants (mais cela valait également pour les démocrates-chrétiens) ne mettaient pas dans la rue leurs expériences quotidiennes.