« MJe me réveille, allume la lampe à arc trouvée dans un bric-à-brac et posée sur la table de chevet Ikea. je prépare le café avec le dernier modèle de machine Nespresso, calqué sur le design des bars des années 60, je choisis dans la garde-robe entre des jupes amples, des blazers des années 90 trouvés dans une brocante et un bracelet hippie volé dans la boîte à bijoux de ma mère ».
Emporté par la nostalgie
Là sémiologue Daniela Panosetti raconte ainsi l’histoire du court-circuit passé/présent qui a infecté notre mode de vie. Le virus, heureusement non mortel, s’appelle nostalgie qui dans les chansons rime avec « maladie ». « Céleste » pour Riccardo Cocciantet, « rogue » pour Al Bano et Romina, tendre, désespérée, douce. Personne n’est à l’abri et il n’y a pas de vaccin. On cultive le regret des « meilleures années »on tombe amoureux d’époques non vécues ou idéalisées.
Cela signifie-t-il que la foi en l’avenir a disparu ? Ou qu’il n’y a plus rien à inventer ? Lucrèce Ercoliqui enseigne l’histoire du spectacle à l’Académie des beaux-arts de Bologne, en Hier. Philosophie de la nostalgie (Ponte alle Grazie) tente de répondre en suivant le courant imparable qui va de la mode au cinéma, des reboots (l’infini Batman et Spider-Man) aux remakes.
Pour tracer une limite entre « bonne » nostalgie (ancien, artistique) c’est mauvais » (regret, mélancolie, et « c’était le bon temps ») de passage Covid, responsable d’une forme particulière de nostalgie : celle d’avant-hier, car aujourd’hui peut être un peu déprimant.
Le vinyle oscarisé
Il y a nostalgie positive dans Pizza Réglisse (en salles à partir du 17 mars), nominé à juste titre pour un Oscar, qui nous emmène en 1973, dans la vallée de San Fernando, à Los Angeles. Le titre est volé à une célèbre chaîne de magasins de disques (« pizza à la réglisse » signifie vinyle). Le réalisateur Paul Thomas Anderson peint le légèreté adolescente dans une fresque colorée qui sert de toile de fond à l’histoire d’amour entre un jeune de quinze ans et un jeune de vingt-cinq ans. La musique est une machine à remonter le tempson sait : avec Mais tu es à moi par Sonny & Cher, Grenouille de la paix des Portes, Laissez-moi le rouler de Paul McCartney et l’incontournable Life on Mars ? par David Bowie, nous y sommes.
Pendant La Foire des Illusions – Nightmare Alley de Guillermo Del Toroplonge dans le monde des carrousels, quand (au début des années 40 du siècle dernier) on pouvait encore croire aux magiciens, mentalistes et tarologues. Une petite nostalgie noire.
Un monde sans réseaux sociaux
Nous avons cultivé le regret des années 60, 70, 80. Le monde brillant du graffiti américain et des Happy Days. Place maintenant aux années 90 : les Spice Girls, Beverly Hills 90210, Toy Story, le Nokia 3310, le Tamagotchi et le VHS. Gwyneth Paltrow, Kate Moss, Jennifer Aniston, Naomi Campbell, Winona Ryder et Madonna.
Chez nous voici une opération de récupération qui vient d’arriver au cinéma. Les belles années de Lorenzo D’Amico de Carvalho, avec Maria Grazia Cucinotta, nous fait revivre un été innocent de 1994, dans un camping, avant les réseaux sociaux, avant Facebook et Instagram. « Des années de changement foud’inconnus, de possibles, d’une agitation émotionnelle qui nous caractérise encore » admet de Carvalho.
« Il y avait Roberto Baggio, il y avait de la musique folle, Nirvana, Cranberries, Jon Bon Jovi. Et vous pourriez être ensemble sans distractions. Aujourd’hui, un jeune de seize ans se tient devant vous et discute avec son ami en Corée ». La mode puise aussi dans les années 90. Les robes à bretelles, les jeans, les t-shirts sportifs et les slips à logo sortant d’un jean sont de retour dans le dernier défilé Balenciaga de Demna Gvasalia.
Le look book de la collection Pre Fall 2022 a été présenté entre Polaroid et Vhs. Virginie Viard (Chanel) a rendu hommage aux années 90 avec des minis et des tweeds rose pastel. Mais différentes décennies coexistent dans le supermarché de la mémoire. Maria Grazia Chiuri (Dior) s’est inspirée de Marc Bohan, directeur de la création dans les années 1960. Pierpaolo Piccioli a conçu les archives Valentino : Zendaya porte des vêtements vintage des années 60 et 70cinq rediffusions défilaient au printemps-été 2022.
Gucci Vault (concept store en ligne, idée du directeur créatif Alessandro Michele) vend des pièces restaurées et révisées avec une histoire à raconter. « Le passé » dit Michele « est un pont vers le futur. J’ai créé un espace de conversations impossibles entre des objets d’origines, d’auteurs et d’époques différents ».
Envie de paradis perdus
« L’esprit vintage rassemble des fragments de passés alternatifs et de cultures souvent contrastées qui construisent un style hybride, résultat des dernières tendances et des rencontres occasionnelles » explique le professeur Ercoli. « Un désir mélancolique fait son chemin qui, entre téléviseurs analogiques et jeux d’arcade (ceux à jetons pour les arcades) et les vinyles, on pourrait appeler ça de la « tecnostalgie », étrange à l’ère numérique. Parfois, seul le nom est nostalgique. Volkswagen revisite la Coccinellela Fiat 500, Piaggio reconstruit la Vespa et il en va de même pour la Mini.
L’avenir (du marketing) appartient au passé. Vous créez un invu qui sait déjà vu, donc ça vous rassure. La promesse du nouveau est un peu rompue, la prochaine génération ne sera pas mieux lotie que la précédente, chacune rêve de son paradis perdu. Une revalorisation du début des années 2000 se profile déjà, car la nostalgie s’use vite et a besoin d’être renouvelée ».
Les âges d’or
Selon Ercoli, il y a un côté positif dans tout ce regard en arrière qui risque de nous faire la nuque raide, une échappatoire à la célébration de l’âge d’or qui n’a peut-être jamais existé : « La manie vintage ne contient pas la douleur de la perte. Ce n’est pas une évasion du présent mais une stratégie pour la mettre en valeur, pour l’enrichir de mémoire, pour ne pas l’oublier. Ainsi la nostalgie cesse d’être paralysante et devient une histoire.
Internet a annulé la dimension temporelle. Sur YouTube, vous pouvez trouver l’ancien Carousel et la bande-annonce du film qui n’est pas encore sorti. Le plus grand diffuseur d’amarcord musical est Spotify, les nouvelles fictions reprennent les archétypes de tous les temps : Le Bien, le Mal, le Pouvoir. Peut-être que quelque chose de nouveau sortira du mélange. Peut-être que Maria Grazia Cucinotta a raison : « Au fond, les sentiments sont les mêmes, seuls les vêtements changent. Hier et demain ne sont pas si loin.
iO Donna © REPRODUCTION RÉSERVÉE