Dans son "Nativité"l’artiste du XVIIe siècle va au-delà de la beauté idéale : l’Enfant que la Madone tient près d’elle est celui dont on rêve. La peinture devient émotion, elle raconte le désir


LEn Carlo Maratta la Nativité c’est l’intimité. La Madone est enveloppante : elle protège et accueille. Sa complice est la nuit, ses protecteurs sont les chérubins qui se tiennent autour d’elle pour regarder cet enfant à qui ils ressemblent mais qui enflamme encore plus d’amour qu’eux. Ils se font légers, il le reçoit. Ce sont les pétales d’une fleur dont la Vierge est la plante. Une intuition d’abord poétique et littéraire que picturale. La chaleur et l’amour émanent de l’image simplifiée et essentielle.

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Maratta donne corps à la voix de Rilke qui fait parler l’Ange et annonce son destin et sa condition de mère:

« Vous n’êtes pas plus proche de Dieu / que de nous ; nous sommes loin / tous. Mais tu as des mains merveilleuses/bénies./ Elles te naissent claires du manteau,/ contour lumineux :/ Je suis la rosée, le jour,/ mais toi, tu es la plante. »

Voici le manteau, voici le contour lumineux. Voici les mains. Dans un faisceau de lumière, Marie tient l’enfant. Ce n’est pas la réalité, c’est le rêve d’une maternité annoncée. Dans cet état onirique, Maratta innove dans le sujet. Il lui avait dit, préfigurant ses collègues éthérés qui s’étaient rassemblés autour de lui :

« J’ai désormais déployé mes ailes, je suis / dans la modeste maison / immense ; il n’y a presque pas de place / pour ma grande robe. / Même si tu n’as jamais été aussi seule, / tu vois : dès que tu m’entends / dans les bois je suis un vent doux, / mais toi, tu es la plante ; .» La fleur qu’elle portera à l’intérieur est sur le point de naître. Et l’Ange prédit ce qui va arriver : « Tous les anges sont pris / par un nouveau trouble : / certainement jamais le désir n’a été aussi intense / et vague. / Peut-être que quelque chose est maintenant annoncé / que vous comprenez dans un rêve / Salut à vous, l’âme voit : / maintenant vous êtes prêt et vous attendez.»

La Nativité est donc un rêve. La réalisation d’un souhait. Et l’Ange révèle sa destinée :

«Je suis venu accomplir / la sainte vision. / Dieu me regarde, m’éblouit…»

Nous voyons sa sainte vision. Autour de l’espace réel de l’apparition. Nativité il a été conçu vers 1650 pour l’église de San Giuseppe dei Falegnami à Rome. Mais Maratta ne voit pas seul. Avec une mémoire rare et cultivée, il remonte à un maître rare dans le monde classique qu’il entend faire revivre à travers le retour à la beauté idéale, qui est son destin, consacré par Giovan Pietro Bellori.

Carlo Maratta (1625-1713) : « Nativité » (vers 1650).

La peinture de Maratta a été célébrée par Bellori qui louait sa grâce et la pureté de sa composition, le considérant comme le seul artiste vivant digne de figurer dans son Vies de peintres, sculpteurs et architectes modernesà partir de 1672. Dans le Nativité il se mesure au nocturne, en se tournant vers une source classique et lointaine : le Corrège dans l’église de San Prospero à Reggio Emilia.

L’œuvre connut un succès exceptionnel et fut également admirée par Rubens et Velazquez.. C’est peut-être Bellori, à la suite de Vasari, qui le rappelle à Maratta : « Il y a aussi un panneau à Reggio, contenant une Nativité du Christ, où, à partir de là, une splendeur éclaire les bergers et autour des personnages qui le contemplent ; et parmi tant de considérations que l’on a eues à ce sujet, il y a une femme qui, voulant regarder physiquement vers le Christ, et pour que les yeux des mortels ne puissent pas supporter la lumière de sa divinité, qui de ses rayons semble frapper cette figure, met sa main devant des yeux. Des yeux, si bien exprimés que c’est une merveille. Il y a un chœur d’anges chantant au-dessus de la cabane, qui sont si bien faits qu’on dirait qu’ils sont tombés du ciel plutôt que de la main d’un peintre.

Maratta semble s’inspirer de cette immatérialité, de la condition d’apparition si éloignée du récit, pour devenir une pure émotion.. L’image est essentielle, c’est l’émotion pure de la Vierge, son bonheur dans l’étreinte, la diffusion de la lumière qui fait de son corps physique le centre d’un feu qui ne peut s’éteindre.

Concept exprimé dans la prière de saint Bernard dans le dernier chant de Paradis dans le triolet le plus mystérieux:

«L’amour s’est rallumé dans ton sein,/ par la chaleur duquel dans la paix éternelle/ cette fleur a germé».

C’est exactement cela, décrit Maratta. Et, d’autant plus si inconsciemment, avec l’idée de forme picturale, il se place entre Dante et Rilke. C’est la force d’une pensée poétique qui prend forme. Et c’est une forme nouvelle qui dépasse la beauté idéale, pour devenir une apparition, un état d’esprit. La vision du sacré.

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