LE‘début de l’histoire de Daniel Auteuil est du côté du mythe. Monstre sacré en France, avec plus de 100 films sur son CVy compris une douzaine de titres inoubliables, Jean de Florette, Manon des sources, Un coeur en hiver, Cachéet cinq en tant que directeur, dont le dernier, Le fil – La mesure du douteDaniel Auteuil, pour reprendre ses mots, est « né au théâtre ». Littéralement.
En Algérie française, où ses parents étaient en tournée avec un spectacle d’opérette, Auteuil dormait paisiblement dans les coulisses dans un panier. Dès qu’il put se tenir debout, ils lui donnèrent quelque chose à faire : parmi les premiers rôles celui du fils de Madame Butterfly et de ce tricheur du lieutenant Pinkerton. «La scène est l’endroit où je me sens le plus en sécurité, il me semble que rien d’inattendu ne peut y arriver» raconte-t-il Je femme.
La mesure du doute de Daniel Auteuil
Dans Le fil – La mesure du doute (réussi hors compétition au festival de Cannes, à partir du 19 septembre au cinéma) au contraire, de nombreuses attentes ne sont pas satisfaites, tout comme de nombreux équilibres sont compromis. Inspiré d’un véritable procès, le cinquième film réalisé par Daniel Auteuil (« mais le premier sur lequel j’ai dû travailler dur »), c’est l’histoire d’une rencontre. Entre un avocat blessé (« quinze ans plus tôt, il a contribué à l’acquittement d’un homme qui, aussitôt libre, a commis un autre meurtre ») et un géant au look d’enfant accusé d’avoir tué sa femme.
Malgré toutes les preuves retenues contre lui, l’avocat est convaincu de son innocence. « Mon personnage a un problème d’empathie, il n’arrive pas à prendre la distance nécessaire. Pour quelqu’un qui fait son travail, une faiblesse impardonnable. »
Qu’est-ce qui vous a convaincu que c’était le bon moment pour revenir derrière la caméra, six ans après votre dernier film en tant que réalisateur, Amoureux de ma femme (le titre italien était, hélas, Le rêve d’une nuit d’âge moyen ) ?
Je voulais incarner un homme qui doit porter un jugement pour que les autres – le juge, le jury, la société – puissent le faire aussi. Et j’ai eu envie de mentir pendant deux heures. Renverser toutes les certitudes et laisser ceux qui quittent la salle avec un grand sentiment de précarité.
Comment juger les monstres ?
Et il n’y a pas de meilleur théâtre qu’une salle d’audience…
Je ne voulais pas faire un documentaire ou un film flamboyantflamboyant, sur la justice. Je voulais entrer dans la tête des gens. Je suis tombée dans une sorte de rêve, ou peut-être de cauchemar, dans lequel des individus comme ceux qui habitent mon histoire nous inspirent ou nous obsèdent. Le tribunal est le lieu où transitent le meilleur et le pire de l’humanité. C’est le lieu où sont jugés les « monstres ». Et là où des hommes et des femmes qui connaissent la loi font de leur mieux pour défendre ces monstres, partez à la recherche de cette part d’humanité qui est aussi en eux. Quand mon producteur m’a soumis ce sujet, c’était tout une pièce de théâtre et issue des mémoires d’un jeune avocat décédé il y a quelques années (Jean-Yves Moyartauteur du livre Au Guet-apens : Chroniques de la Justice Pénale Ordinairesoit « Un guet-apens : chroniques de la justice pénale ordinaire », éd ), je n’avais aucun doute. Et j’y ai mis beaucoup de moi.
Dans quel sens ? C’est un avocat différent des principes de justice auxquels nous a habitué le cinéma américain, froid et détaché…
En fait, je suis français. J’ai rapproché le personnage le plus possible de qui je suis. Je suis un « gros affectif », une grande émotive, dans la vie je serais un terrible avocat, mais peut-être suis-je un acteur passable qui peut se permettre de livrer sa vérité aux autres, de la faire accepter au public.
Le terme « fémicide » n’est jamais utilisé dans le film.
Ce dont nous parlons est un crime horrible. Qu’est-ce que le fémicide ? Je sais que c’est un terme beaucoup utilisé dans les médias, mais je n’ai pas utilisé ce vocabulaire. Je voulais raconter la dérive psychologique d’un avocat. Et l’idée qu’il existe des gens qui sont en réalité des monstres, mais si vous êtes avocat, les monstres ne peuvent pas exister pour vous, seulement une idée de justice.
Une troisième vie de musicien
Comment s’est-il préparé ?
Dans le palais de justice où nous tournons le film, j’ai suivi le procès en appel d’un homme accusé d’avoir violé sa belle-fille entre 10 et 12 ans, une chose horrible. Les jours de ce procès ont déclenché en moi le désir de me rapprocher de cette vérité, d’entrer dans cette horreur effrayante. J’étais intéressé par l’action de ces gens, ceux qui défendent et ceux qui accusent, j’étais intéressé par l’intime conviction qui, à un moment donné, fait dire : « Cet homme est coupable ».
Pourquoi Les fichiersle fil ?
Parce que la première étape que je fais toujours, c’est de trouver le fil conducteur qui me permet d’entrer dans l’histoire. Ce sont souvent des fils qui viennent de loin. Pour l’émotion qui anime mon personnage Je n’ai pensé qu’à un seul film de procès français, même si beaucoup sont tournés ici : La vérité par Clouzot (La véritéun film de 1960 avec Brigitte Bardot, éd ). La province, les regards accusateurs, ce côté étouffant… Décidément, la scène où Bardot est sorti de la classe en pleine crise m’a influencé. Quand je l’ai revu, je me suis dit : Merdej’ai tourné la même scène. Je ne l’avais pas vu depuis un moment, je pensais l’avoir oublié, mais visiblement ce n’était pas le cas.
Vous avez entamé une deuxième, peut-être une troisième vie de chanteur et de musicien. Et il le fait sérieusement, il sort des disques, il part en tournée. Pourquoi maintenant ?
J’ai regardé l’heure et je me suis dit qu’il était temps. L’envie de devenir sérieux est née lorsque j’ai repris la guitare dans l’espoir d’induire mon plus jeune fils (Zachary, 15 ans, né de la relation avec l’artiste corse Aude Ambroggi. Auteuil a deux autres filles, Aurore, 33 ans, avec la comédienne Anne Jousset, et Nelly, 22 ans, avec la comédienne Emmanuelle Béart, éd) pour faire de la musique, et j’ai commencé à en faire moi-même. Et comme les chansons que j’écris sont des choses très personnelles, je me sentais en droit de les proposer au public.
Les paroles semblent en effet dire quelque chose sur elle : « Que la vie me pardonne », que la vie me pardonne, « J’ai fui ce que j’ai pu », je me suis enfuie quand je pouvais…
Ce sont les aveux d’un homme égoïste. Mais beaucoup de mes chansons parlent de la relation père-fils. Je suis un père décédé et j’ai toujours été convaincu que je n’étais pas vraiment un parent. Mais comme je n’aime pas avoir des regrets, je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de voir ça du point de vue du père que je suis, mais aussi de l’adolescent que j’étais ? Et même si je ne suis pas doué pour les grandes leçons de vie que les parents sont censés enseigner à leurs enfants, je ne suis pas mauvais lorsqu’il s’agit de transmettre à mon fils l’amour que j’ai reçu quand j’avais son âge. Ce n’est pas si compliqué.
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