Dans ses journaux, Etty Hillesum, morte à Auschwitz, nous apprend à vaincre la haine et à faire "réserve d’amour". Elisabetta Rasy nous en parle dans un Bildungsroman


ETtty Hillesum, soixante ans après sa disparition à Auschwitz, reste un symbole et guide de la résistance spirituelle face au Mal. Alors que l’histoire sombrait dans l’un de ses moments les plus sombres, elle a pu la parcourir dans la direction opposée et allumer, même pour nous tous, une lumière intérieure inaccessible à toute obscurité.

« Dieu veut que nous soyons heureux. Etty Hillesum ou la jeunesse » d’Elisabetta Rasy, HarperCollins160 pages, 18 €

Elisabetta Rasy nous en parle dans un Bildungsroman intitulé avec éloquence Dieu veut que nous soyons heureux (HarperCollins), dans lequel sa propre histoire se mêle à celle de cette jeune juive hollandaise et à celle d’autres jeunes femmes extraordinaires de la même période historique terribled’Edith Stein à Simone Weil, augmentant ainsi « l’offre d’amour » dans le monde.

Pouvez-vous nous parler de votre amour pour Etty ?
Il y a de nombreuses années, je suis tombé sur un livre écrit par un parfait inconnu. C’était le journal d’une fille née en 1914 qui n’avait pas eu le temps d’atteindre les trente ans que je lisais : elle était morte à Auschwitz en 1943. Mais ce qui m’a frappé en lisant, ce n’était pas seulement sa fin tragique et l’infini force spirituelle avec laquelle il l’avait supporté. C’était l’extraordinaire histoire de sa jeunesse. Le mien touchait alors à sa fin et en lisant le journal d’Etty, c’était comme si quelqu’un me parlait et m’expliquait tout ce que j’avais vécu. À partir de ce moment, Etty est devenue une amie proche, que je garderai toujours avec moi.

En quoi Etty est-elle similaire et différente des autres écrivaines ou protagonistes de l’écriture qui ont traversé les mêmes temps sauvages ?
C’est une jeune femme qui vit de première main la terrible emprise de l’occupation nazie en Hollande qui a commencé en mai 1940 et la persécution antisémite qui en a résulté. Pourtant, Etty défend avec ténacité sa vie, sa jeunesse et l’amour passionné et difficile qu’elle vit. C’est aussi une belle histoire d’amour. Elle sait qu’il n’y aura peut-être pas de lendemain pourtant elle part à la recherche d’elle-même, d’une identité loin des stéréotypes, d’une femme fragile et très forte.

Remembrance Day, à Berlin une exposition avec des souvenirs prêtés par Yad Vashem

L’amour d’Etty pour la vie malgré tout. Comment peut-il y avoir un miroir et un guide aujourd’hui ?
Son amour pour la vie découle de la volonté obstinée de ne pas faire de compromis. Pas même pour lui sauver la vie. Elle écrit que 1941, une année de terrible persécution des Juifs, a été la meilleure année de sa vie : elle est tombée amoureuse d’un homme qui ne lui a pas offert le mariage et la famille mais a plutôt proposé le chemin difficile pour rencontrer son âme. C’est une femme agitée qui cultive son agitation intérieure comme une arme de diversité du monde et aussi comme une forteresse. Aujourd’hui les plus jeunes risquent d’être écrasés par les mêmes buzzwords, modes, tendances et de perdre de vue leur propre singularité : je leur dédie le livre.

Écrivaine et journaliste, Elisabetta Rasy, spécialiste de la fiction du XIXe siècle, a publié de nombreux essais sur la littérature féminine. Parmi ses derniers ouvrages, La science des adieux et Les désobéissants. (AGF)

Dans ce livre, elle aussi parle d’elle-même…
Retraçant le journal d’Etty, dans ses deux éditions publiées par Adelphi (l’intégralité compte près de huit cents pages que j’ai l’impression d’avoir toutes lues d’un trait) c’était comme trouver, à travers sa voix, des morceaux de moi-même. D’où les associations autobiographiques qui alternent avec la narration de son histoire et aussi celles avec d’autres écrivains et personnages bien-aimés, Katherine Mansfield par exemple ou Micòl de Le jardin des Finzi-Continis par Bassani. Au fond de nous, nous aimons un livre parce qu’il nous parle de nous, nous dit des choses sur nous-mêmes que nous ne savions pas.

Sa leçon de paix à construire d’abord intérieurement : de quelle manière et de combien de manières l’ignorons-nous ?
La leçon d’Etty est extraordinaire car elle ne vient pas d’une idéologie mais d’un ressenti. Je le définirais comme un sentiment d’acceptation envers les autres, envers ceux que nous sentons différents de nous. A chaque fermeture que nous opposons aux autres, ce sentiment est brisé. Naturellement il ne s’agit pas d’un mouvement naïf de l’âme, comme on veut souvent nous le faire croire : accepter les autres n’est pas toujours facile, il faut mettre en œuvre l’intellect de l’amour, c’est-à-dire une intelligence qui se cultive non seulement avec rationalité mais aussi émotionnellement.

Y a-t-il une citation de Hillesum que nous devrions accrocher dans le miroir ?
Celui que j’aime beaucoup et que je rapporte dans mon livre : « Une chose cependant est certaine : nous devons contribuer à augmenter l’offre d’amour sur cette terre. Chaque miette de haine qui s’ajoute à la haine exorbitante qui existe déjà rend ce monde plus inhospitalier et invivable ».

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