Dans le rôle d’une femme « différente » (mais tout aussi désirable), avec son dernier film, l’actrice au profil botticellien propose une idée de « féminisme humaniste ». Où, plus que les catégories, les nuances triomphent


Cdemande l’amour inconditionnel c’est une comédie sentimentale hollywoodienne. Exigez-le, mais avec grâce, dans un film d’époque se déroulant dans la France rurale ce serait déjà bizarre, si l’héroïne prête à jeter son cœur par-dessus l’obstacle avait une barbe alors la prétention deviendrait un exploit. Si ce n’était pas pour Nadia Tereszkiewiczdont la douceur (« profil botticellien » comme l’écrivent les français) représente le salut d’un destin planifié de « monstre », un film comme Rosalie (au cinéma) cela n’aurait probablement pas pu être fait.

Le clip de « Rosalie », le très curieux film de Stéphanie Di Giusto

Stéphanie Di Giusto, qui a écrit et réalisé ce conte fantastique (également drame social), s’inspire du histoire vraie de Clémentine Delait, propriétaire d’un bar dans un village vosgien au tournant des XIXème et XXème sièclescélèbre non pas tant pour la qualité du service que pour sa « femme à barbe », femme barbue, un sujet qui avait déjà séduit Marco Ferreri au cinéma en 1964 (La femme singe avec Annie Girardot).

Rosalie, la jeune femme interprétée par Nadia, « souffre d’hirsutisme, une maladie génétique, elle n’a pas le choix, elle est née comme ça. Son père l’a cachée pendant 25 ans, l’a rasée, l’a empêchée d’exister », raconte-t-elle. Je femme l’actrice franco-finlandaise, Ambassadeur Dior à partir de 2021. «Puis il la marie, en échange de la dot, au propriétaire d’un logement en difficulté financière (Benoît Magimel, éd), mais en lui cachant la vérité. »

«On ne naît pas femme, on le devient» disait Simone de Beauvoir.
Peut-être que le problème devrait être mis à jour. Le film ne demande pas si Rosalie est un homme ou une femme. La question qui se pose est : qui est cet être humain ? Comment peut-elle être elle-même ? Pour moi, c’est une femme à 100 pour cent, elle n’a aucune virilité en elle, elle a une pilosité d’homme et en même temps une envie de maternité. Le regard des autres l’empêche d’être qui elle est. Un regard qui ne peut oublier sa barbe et ne peut pas voir l’être humain derrière.

Rosalie de Nadia Tereszkiewicz n’est pas une simple créature

Stéphanie Di Giusto a parlé de « féminisme nuancé », à propos des aspirations de Rosalie qui coïncident largement avec celles de notre présent.
La définition que je préfère, et je l’utiliserais aussi pour ce film, est celle du féminisme humaniste. C’est notre prochaine étape, l’humanité, qui revient au sens premier d’être humain. La vie est si violente ! Cela l’était encore plus à la fin du XIXe siècle : la guerre franco-prussienne venait de se terminer, il était facile d’identifier la sorcière sur laquelle rejeter toute la faute. Je suis pour un féminisme universaliste, chacun doit être libre de s’autodéterminer, de découvrir qui il est et de le dire au monde. Nous vivons dans une époque moralisatrice et réactionnaire, donc les nuances sont importantes : la liberté se niche là, parmi les nuances. Pas dans les cases identitaires à cocher à tout prix et dans lesquelles se placer parmi des individus qui s’estiment identiques. Cette obsession classificatoire commence à être de l’ordre de l’autoritarisme. La complexité de l’être humain, c’est beau ! Rosalie n’est certainement pas une créature simple, alors essayez de comprendre qui elle est.

Nadia Tereszkiewicz et Benoît Magimel.

Et cela suscite le désir chez tous les hommes du village, même chez ceux qui font semblant de le rejeter. Cela arrive au moment où elle accepte sa différence et la manifeste. Ce n’est pas vraiment une attitude du 19ème siècle…
Benoît a utilisé une phrase très éloquente pour décrire la rencontre entre ces deux personnes : « Quel chemin puis-je emprunter pour aimer cette femme ? ». Quand nous nous sommes vus sur le plateau le premier jour, il avait même du mal à me regarder. Il m’était difficile, peut-être même violent, d’accepter son regard. La tension érotique a augmenté à mesure que nous continuions le tournage…Jusqu’à ce qu’il soit finalement surpris par son propre désir.

Rosalie aurait pu continuer à se cacher et décide à la place de se révéler au monde, laisse pousser sa barbe et aussi grâce à cela elle fait revivre la fortune du lieu. Le fait-il parce qu’il est une personne totalement libre ou par défi ?
Je ne pense pas qu’il choisisse la récupération. Elle n’est pas en colère, c’est une femme ensoleillée et veut être aimée malgré sa diversité. Il refuse de se soumettre aux règles d’une époque qui n’est pas la nôtre, mais qui, par certains côtés, lui ressemble beaucoup. Notre époque continue de célébrer la différence mais, finalement, ne la soutient pas vraiment. Le film lui-même est victime d’un a priori : n’est-il pas injuste de parler d’une « femme barbue », réduisant un être humain à cet attribut ? La barbe pour Rosalie n’est au début qu’un moyen de gagner de l’argent et d’aider dans les affaires de son mari. Mais en s’exposant au regard des autres elle découvre qui elle est, accepte sa féminité et ses envies. Et elle comprend aussi que ceux qui la rejettent ont peur d’elle, de ce qu’elle représente, des désirs qu’elle suscite. Je trouve très intéressant de s’interroger sur quelles sont les attentes en matière de féminité. L’amour est finalement la question la plus politique de toutes.

La révélation avec La Vie d’Adèle

Les codes n’ont-ils vraiment pas changé depuis ?
Peut-être qu’ils changent maintenant. J’ai un ami très cher qui divise catégoriquement le monde entre hommes et femmes (des rires), ce qui est très bien… Après avoir vu le film, il m’a appelé et m’a dit qu’il en était ressorti profondément déstabilisé, il avait remis en question tous ses désirs. Et puis je me suis dit : si on a déstabilisé quelqu’un c’est déjà une victoire (des rires).

Depuis Pour toujours jeunele film de Valeria Bruni Tedeschi dont elle était la protagoniste et qui lui a valu le César de la meilleure révélation, Rosalieincarne souvent des femmes prisonnières d’un rôle social, avides de rébellion.
Je suis attirée par tout ce qui remet en question le stéréotype, la norme, l’idée commune de la féminité, j’aimerais contribuer à fournir des outils pour façonner une nouvelle image féminine. J’appartiens à une génération qui sait tout remettre en jeu. J’avais 15 ans quand il est sorti au cinéma La vie d’Adèle (le film d’Abdellatif Kechiche avec Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, éd) : Je n’avais jamais vu de couple lesbien auparavant ! J’avais vu de nombreuses images d’homosexualité masculine, mais pas féminine. La première image de deux femmes qui s’aiment est pour moi liée à un film. Un film qui a représenté un véritable choc pour ma génération, beaucoup de mes amis l’ont fait sortir un an plus tard et je me souviens m’être dit : le cinéma peut vraiment changer les choses. Ensuite c’était l’image de deux femmes qui s’aimaient, peut-être qu’aujourd’hui ce sera l’image d’une femme avec une barbe ! Je suis heureux de participer à tout ce qui contribue à donner vie à de nouvelles représentations. Et il ne s’agit pas seulement de femmes fortes, ni de Wonder Woman.

Comment c’était d’avoir la barbe plusieurs heures par jour ?
Ce n’était pas appliqué, c’était 4 heures de maquillage par jour (et le réveil sonnait cruellement à 3h45), cheveux par cheveux. Stéphanie souhaitait que le personnage se sculpte en moi petit à petit. Au début, j’étais intimidée, je ne traversais même pas le bureau pour aller aux toilettes parce que j’avais peur de rencontrer quelqu’un. Mais c’est parce que le personnage n’était pas encore là, j’avais une barbe, mais j’étais en jean et les cheveux détachés. Puis, quand j’ai enfilé le costume et qu’ils m’ont coiffé avec la bonne coiffure, tout était différent. Je me suis enfin vu. Et je n’ai plus eu aucun problème pour me rendre au réfectoire avec le reste de l’équipage avec ma belle barbe. J’adore la transformation, et c’est un rôle de rêve pour une actrice. Quatre heures, c’était le temps nécessaire pour commencer à m’accepter et à m’aimer.

C’est une créature multilingue aux nombreux passeports. Est-ce que ça aide dans la vie ?
Mon père est polonais, ma mère finlandaise, je vis désormais à Paris. J’ai grandi dans la culture et la langue finlandaise et j’essaie maintenant de renouer avec le polonais. La musique classique a été fondamentale pour moi, j’ai passé la moitié de ma vie à danser, je suis musicalement liée à la Pologne et j’aime le cinéma polonais, mais je ne parle pas la langue, alors peut-être que je me sens plus proche de l’Italie (Nadia parle parfaitement italien après avoir étudié la danse avec Paola Cantalupo et avec des camarades de classe italiens, éd) que vers la patrie de mon père. Mais maintenant j’y vais, je vais aussi combler cette lacune.

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