Comment une prairie déserte à Evere est devenue le symbole d’une lutte urbaine moderne

Ça n’a pas l’air bien banal, là, sur le quai 2 de la gare d’Evere, accessible par un escalier métallique qui s’avère traîtreusement glissant en hiver. Seul le banlieusard observateur, attendant le train, pourrait interroger l’image de l’autre côté de la double rangée de voies ferrées avec laquelle la ligne ferroviaire 26 se faufile dans la métropole bruxelloise : un terrain vague plein d’herbes hautes, hermétiquement fermé avec des clôtures Heras à perte de vue. Cela semble un peu étrange : qui se soucie tant d’un tas d’herbe ?

Eh bien : beaucoup de gens importants, même le chef du gouvernement de la région. Car le terrain d’en face est devenu l’objet d’un jeu immobilier politique de grande hauteur entre socialistes et écologistes. Le friche Josaphat comme on appelle la plaine herbeuse, c’est une partie unique de Bruxelles : 27 hectares de verdure envahie, un lieu où la nature peut suivre son cours sans être dérangée. Et bientôt 500 foyers devraient apparaître.

Ce n’est pas un hasard si le site Josaphat se trouve juste à côté des voies. Jusque dans les années 1990, il appartenait au NMBS et servait de gare de triage où les trains pouvaient être assemblés. Il n’y avait pas de verdure à cette époque : tout le site était recouvert de tuiles. Ils n’ont été enlevés qu’il y a dix ans, lorsque la société ferroviaire a dû assainir le site lors de sa vente à la ville de Bruxelles.

Depuis, la nature s’est tranquillement emparée du site. L’eau dessine de profonds sillons dans le sol marécageux, entre les jeunes arbres et les herbes hautes jusqu’aux genoux. En été, les fleurs poussent aux noms idylliques comme la campanule raiponce et la verveine de Buenos Aires. Il y a un panneau « Pas d’intrusion » qui se balance un peu au-delà de la clôture à laquelle il a dû être attaché.

Cela va bientôt changer. Une partie du site – environ trois hectares et demi – servira à l’avenir de zone résidentielle. C’est un must, affirme une partie du gouvernement bruxellois : plusieurs milliers de nouveaux ménages sont attendus dans la région dans les années à venir, et les prix de l’immobilier explosent déjà. La partie qui pense différemment est sans surprise les partis Groen et Ecolo. Pour eux, il est inavouable de toucher la verte prairie. Selon les écologistes, des habitations peuvent être créées en densifiant les zones pavées existantes.

La couleur de la gentrification

Sur le site Josaphat, lieu caché et relativement méconnu même de nombreux habitants de Schaerbeek, se rejoignent toutes les problématiques devenues incontournables d’une politique moderne du logement dans la ville. Les Verts soulignent l’effet refroidissant prouvé de grands poumons verts dans un îlot de chaleur comme la ville de Bruxelles. La critique des socialistes est que le site lui-même est un îlot de chaleur, faute d’arbres. Ce qui est bien sûr facile à résoudre : planter des arbres.

Selon les socialistes, les verts mènent le superlatif de NIMBY (‘pas dans mon jardin’): BANANE, c’est-à-dire ‘construire absolument rien n’importe où près de n’importe quoi’. « Il y a une tendance chez les verts à faire de Bruxelles un village, où, par exemple, aucun bruit n’est autorisé et les concerts sont une nuisance. Désolé, mais vous habitez la ville, n’est-ce pas », lance le secrétaire d’État socialiste à l’Urbanisme Pascal Smet (Vooruit).

La revue américaine L’Atlantique une fois décrit comme ceci: le son de la gentrification est le silence. Peut-être pourrait-on ajouter : la couleur de la gentrification est le vert. La bataille pour la ville est aussi une bataille pour la place de la nature. Une ville moderne ne peut pas se passer de verdure – et il y en a déjà trop peu à Bruxelles. Mais si des plaines vertes comme le friche Josaphat ne devrait plus être abordée, la réalité économique du marché du logement menace de pousser encore plus les moins fortunés hors de la ville.

De l’autre côté de la plate-forme 2, cependant, la bataille semble être décidée. Sous réserve d’un lotissement et d’un permis d’habitation, tout est prêt pour construire 8 blocs résidentiels avec un total de 509 logements.



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