Comment le médiateur russe pour les enfants blanchit l’expulsion des enfants ukrainiens


Depuis le début de la guerre, Moscou déporte un grand nombre d’enfants des territoires occupés vers la Russie. Le fleuron de cette politique du Kremlin est la médiatrice des enfants Maria Lvova-Belova.

Jarron Kamphorst

À première vue, la chaîne Telegram de Maria Lvova-Belova ressemble à un bain chaud. La chaîne d’information en ligne du Commissaire russe aux droits de l’enfant est une succession de photos, de vidéos et de messages contenant des histoires compatissantes sur des enfants orphelins et réfugiés d’Ukraine. Un moment, elle se penche sur un berceau dans un orphelinat, le lendemain, elle décore un sapin de Noël avec un bambin ou elle attend un groupe d’enfants dans le terminal d’un aéroport avec des fleurs et un ours en peluche.

La compassion coule des histoires et c’est exactement ce que Lvova-Belova veut faire rayonner vers le monde extérieur. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la médiatrice des enfants de 38 ans s’est érigée en “sauveur” des enfants touchés par la violence de la guerre. Conformément à ce rôle, elle cultive également une image de chrétienne fervente. Elle est mariée à un prêtre orthodoxe russe avec qui elle a cinq enfants biologiques. Le couple a également cinq enfants adoptés et Lvova-Belova est la tutrice légale de treize autres enfants handicapés.

Aux yeux du Kremlin et de l’Église, elle est donc une mère exemplaire, la personnification de la Mère Russie elle-même. Une image qu’elle affiche avec un dévouement total sur sa chaîne Telegram et dans les médias d’État russes. Par exemple, lorsqu’elle a raconté dans une interview télévisée le moment où elle a vu pour la première fois son fils adoptif Filip, qui est venu chez elle depuis la ville de Marioupol, dans le sud de l’Ukraine, assiégée par la Russie, au printemps dernier. Son cœur a raté un battement, se souvient-elle. “J’ai réalisé que je ne pouvais pas vivre sans cet enfant.”

Le président russe Vladimir Poutine serre la main de la médiatrice des enfants, Maria Lvova-Belova, en mars de l’année dernière.Image ANP / AFP

Des milliers d’enfants ukrainiens

Mais derrière son apparence impeccable se cache en réalité une sinistre politique de déportation des enfants ukrainiens des territoires occupés par Moscou vers la Russie. Bien qu’il n’y ait pas de chiffres vérifiables de manière indépendante, il est clair que des milliers d’enfants ukrainiens ont été envoyés de Moscou en Russie depuis le début de l’invasion russe. Début décembre, Kiev affirmait qu’il y avait 13 000 enfants déportés, tandis que Moscou entretient à son tour un total de cinq millions de réfugiés ukrainiens, dont plus de 720 000 enfants.

La majorité de ces enfants se retrouvent en Russie avec leurs parents, assure Laura Mills d’Amnesty International qu’en novembre un rapport publié sur la déportation de citoyens ukrainiens. « Mais les cas les plus difficiles sont les enfants non accompagnés qui sont embarqués de force dans des bus pour la Russie. Les chiffres exacts sont inconnus, mais nous savons que la Russie essaie systématiquement de les empêcher de fuir vers l’ouest.

Selon Moscou elle-même, cela n’amène que des orphelins en Russie, mais ce n’est pas le cas, selon Mills. « Peut-être que leurs parents sont morts, mais ils ont toujours une tante ou une grand-mère. En vertu du droit international, les enfants sont alors sous la garde de ces membres de la famille. Ou du moins, ils devraient être proposés à l’adoption par des familles ukrainiennes. Les enfants ont aussi droit à leur identité nationale et Moscou les en prive à travers les déportations.

“Une identité claire”

Cette soi-disant désukrainisation découle également de la politique officielle. Par exemple, depuis que le président Poutine a publié un décret spécial en mai, les familles russes peuvent « adopter » plus rapidement des enfants ukrainiens et les mineurs peuvent obtenir plus facilement un passeport russe. « C’est une tentative de « russifier » les enfants et d’effacer leur identité ukrainienne », dit Mills.

Moscou ne cache pas comment fonctionne cette « russification ». Sur sa chaîne Telegram, Lvova-Belova parle franchement des déportations ou, dans le jargon du Kremlin, des « évacuations ». Les enfants arrivent souvent du territoire occupé dans l’un des trois lieux d’accueil centraux en Russie. Dans ces « centres de réhabilitation », la première « assimilation » des enfants a lieu dans leur nouveau pays d’origine. Ils reçoivent des « soins sur mesure » et des « cours quotidiens de langue et d’histoire russes » avant d’être placés dans des orphelinats ou des familles d’accueil.

Cette intégration peut parfois prendre un certain temps, la protectrice des enfants le sait par sa propre expérience. Par exemple, son fils adoptif Filip a d’abord montré « une certaine négativité ». Par exemple, il chantait régulièrement l’hymne national ukrainien, insultait le président Poutine et n’arrêtait pas de parler de sa participation à des manifestations pro-ukrainiennes. Mais son comportement a changé depuis, assure Lvova-Belova. L’attitude négative de l’adolescent s’est “transformée en amour pour la Russie”.

Des histoires similaires sur les enfants des territoires occupés apparaissent régulièrement à la télévision d’État. Chacun de ces rapports s’inscrit parfaitement dans la propagande d’État qui proclame que l’invasion du pays voisin vise, entre autres, à sauver les enfants de la région ukrainienne du Donbass. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles le Kremlin expulse des enfants, estime Mills. « La Russie raconte des histoires avec eux. Il les utilise comme pions de propagande.



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