Ces dernières années, j’ai écrit des chroniques sur le féminisme, sur les droits des femmes, sur MeToo. Qu’est-ce que ça m’a apporté ?

La journaliste Jana Antonissen et l’auteur/metteur en scène Julie Cafmeyer racontent tour à tour la vie.

Julie Cafemeyer15 octobre 202203:00

Dans le musée, je me vois reflété plusieurs fois. Pendant l’exposition Musée en mouvement dans la Muhka, je regarde pleurer une femme héroïque. La peinture Mes Libertés (Bleu) de Dorothy Iannone montre une version décalée de la statue de la liberté. Une femme en couronne triomphe avec un gode à la main. Le bras tendu, une larme roule sur sa joue. Libre interprétation : une femme qui s’est battue pour ses idéaux, mais ne veut plus être une figure de proue de l’indépendance. Elle ne veut plus incarner l’idée de la femme dite forte. Trop fatiguant.

Dans l’installation vidéo Hommage à de Lili Dujourie Je regarde une femme allongée nue sur son lit défait. Elle s’ennuie à mourir, pourquoi personne n’est allongé à côté d’elle ? Elle attend avec apathie quelque chose qui ne semble jamais venir.

Dans certains dessins d’Anne-Mie Van Kerckhoven, je regarde des corps de femmes incapables de s’adapter à leur environnement. L’un des dessins comporte une citation de Nietzsche : « En supposant que la vérité est une femme ». Une femme, brisée en morceaux. Son torse se redresse, ses pieds sur le sol. Une autre femme est allongée sur le sol en position fœtale. La vérité est une femme qui se tient à genoux.

Un tableau d’Anne-Mie Van Kerckhoven est accroché à côté des dessins. Une femme au visage rouge montre ses dents. Elle est sauvage, sanguinaire.

Un peu plus tard je regarde le travail de Marlène Dumas. Des femmes réceptives, sensuelles. Elles montrent leurs aisselles, leurs seins, leur vulve.

La dernière oeuvre que je vois est de l’artiste Nicola L. Une statue de femme en plastique gris, une sorte de poupée gonflable. La femme est allongée sur un matelas, recroquevillée comme une boule. Elle se tient avec ses mains énormes.

Il est rafraîchissant de regarder des images de femmes qui cherchent sans vergogne leur désir, leur intimité, leur place dans le monde. En parcourant le musée, je pense à ma propre quête. Ces dernières années, j’ai écrit des articles sur le féminisme, sur les droits des femmes, sur le patriarcat, sur les hommes blancs hétérosexuels, sur les quotas, sur MeToo. Qu’est-ce que ça m’a apporté ? Où cela m’a-t-il emmené ? Qu’est ce qui a changé?

Je pensais que je devais me battre, que je devais me pousser, que je devais être fort, que je devais avoir des réponses toutes faites prêtes, que je devais le faire correctement, que je devais être capable de bien l’expliquer , que je devais cacher mes convoitises et mon impuissance .

Ici, dans ce musée, en compagnie des femmes en quête, je me sens chez moi. C’est moi, me battant avec mon bras en l’air je pleure. C’est moi couché dans le lit vide de Lili Dujourie. Je tape sur le sol avec ma tête sur le bord du lit. C’est moi, sauvage et sanguinaire. C’est moi qui me montre dans toute ma sensualité. Mes aisselles, mes seins, ma vulve. Je suis celui qui se sépare, mes membres flottant à travers la maison. C’est moi, qui dois me forcer à ne pas m’allonger sur le sol et étreindre cette poupée gonflable.



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