Ce que le président français Macron veut réellement dire lorsqu’il parle des troupes terrestres occidentales en Ukraine

Mots forts du président français Emmanuel Macron à l’Elysée : l’envoi de troupes terrestres en Ukraine n’est « pas exclu » pour lui. Ce langage musclé met les alliés et les ennemis à rude épreuve. Mais que voulait vraiment dire le chef de l’État français – et à qui s’adressait implicitement son message ?

Yannick Verberckmoes

Qu’entend exactement Macron par « troupes terrestres » ?

En fait, personne ne le sait. La déclaration du président français ressemblait littéralement à ceci. « Il n’y a pas de consensus pour envoyer des troupes terrestres officiellement, ouvertement et avec l’approbation », a-t-il déclaré lundi soir à l’issue d’une réunion de travail informelle sur le soutien à l’Ukraine en difficulté. « Mais nous ne pouvons rien exclure dans la dynamique. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir que la Russie ne gagne pas cette guerre.»

Macron a réuni les dirigeants de plus de vingt pays à l’Elysée pour réfléchir à la manière dont ils peuvent aider l’Ukraine maintenant que les Russes semblent prendre le dessus sur le champ de bataille. Les éléments du programme comprenaient l’envoi de « forces non militaires » pour aider à défendre la frontière entre la Biélorussie et l’Ukraine et des opérations de déminage. Il y a eu un consensus sur ces points, selon l’Elysée.

Macron semble vouloir aller plus loin dans sa déclaration. Il n’exclut pas d’envoyer des troupes au sol pour un rôle sur lequel il n’y a actuellement « pas de consensus ». Les analystes militaires pensent avant tout aux troupes assumant des fonctions de soutien, mais Macron ne limite pas cela. Ils pourraient donc aussi être des troupes de combat.

Que pourraient faire les soldats européens ?

A supposer que la mission des troupes sur le terrain soit du soutien : les pays européens pourraient alors envoyer des instructeurs pour aider l’Ukraine à former des recrues. Cela serait vraiment utile : l’Ukraine a annoncé une nouvelle vague de mobilisation pour le mois prochain.

« Si les instructeurs dispensent une formation en Ukraine, les soldats n’ont pas besoin de se rendre en Pologne ou en Roumanie », explique l’historien militaire Tom Simoens (Académie royale militaire). «C’est à l’avantage de l’Ukraine, car cela fait gagner du temps. Les pays européens pourraient également envoyer des officiers d’état-major pour aider à planifier les opérations ou des mécaniciens pour entretenir certains types de véhicules.

Mais si les soldats européens s’approchent du choc des armes, il existe un risque de victimes. En ce qui concerne les instructeurs, le droit de la guerre ne précise pas clairement s’ils constituent une cible légitime, explique le professeur de droit international Chris De Cock (VUB). Lorsque des officiers d’état-major sont envoyés ou que des forces spéciales identifient des cibles pour des bombardements aériens, il n’y a même aucun doute : « Alors vous n’êtes plus un parti neutre ».

Comment les autres partis réagissent-ils à ces déclarations ?

La réponse du Kremlin à la déclaration de Macron mercredi a été – sans surprise – ferme. S’il y a des Européens bottes sur le terrain entrer en Ukraine, alors un conflit avec l’OTAN est inévitable, a déclaré le porte-parole Dmitri Peskov.

Mais Macron est également allé trop loin pour les dirigeants des pays amis. Selon l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne, la République tchèque et la Pologne, l’envoi de troupes terrestres n’est pas une option.

Le patron de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a également fustigé le président français. « Il n’est pas prévu que des troupes de combat de l’OTAN soient déployées sur le terrain en Ukraine », a-t-il déclaré. Le Premier ministre belge Alexander De Croo (Open Vld) n’a pas encore donné son avis sur ces déclarations. Il ne veut communiquer sur le sommet que mercredi, après la réunion du noyau.

Quelles sont les motivations du président français ?

Selon les experts, Macron veut avant tout envoyer un signal avec sa déclaration. Le président français montre qu’il est prêt à prendre des risques pour arrêter les Russes, tandis que le chancelier allemand Olaf Scholz se montre toujours très prudent. Il semble désormais que la France soit en tête parmi les pays souhaitant soutenir l’Ukraine. Ils ne peuvent plus compter sur les Etats-Unis, où les Républicains bloquent un important programme d’aide.

Par son attitude dure, Macron veut se positionner comme le leader d’un grande nation profilage. Cela peut toucher une corde sensible chez les Français chauvins. Une déclaration en matière de politique étrangère avec laquelle Macron veut surtout marquer des points au niveau national, selon l’expert français Frederik Dhondt (VUB).

«Le parti de Macron est loin derrière le Rassemblement national de Marine Le Pen dans les sondages pour les élections européennes», estime Dhondt. «Mais elle a du mal à critiquer Poutine. Macron profite de ce thème pour rattraper son retard. Sa position claire contre Poutine est l’un de ses rares atouts.»

Avec ses déclarations fortes, Macron détourne également l’attention de certains sujets très sensibles. « La France se considère toujours comme la superpuissance militaire en Europe », estime le spécialiste de la défense Alexander Mattelaer (VUB/Egmont). « Mais si l’on regarde ce que la France fournit à l’Ukraine, elle est loin derrière, surtout par rapport à l’Allemagne. »

La déclaration de Macron a fait passer au second plan un autre sujet de la réunion, bien qu’il soit important. La France s’est longtemps opposée au projet selon lequel l’UE achèterait des munitions à l’Ukraine en dehors de l’Union avec de l’argent européen. Macron ne voulait pas cela, car la France possède une grande industrie d’armement. « Mais ce programme protectionniste irrite de plus en plus les autres pays », déclare Mattelaer. « Lors de ce sommet, la France a abandonné son veto sous sa pression. »



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