Bpost rejette toute responsabilité dans les accords illégaux avec les journaux, mais combien de temps pourra-t-elle continuer ainsi ?

Ca parle de quoi?

Fin 2022, l’autorité belge de la concurrence (BCA) a lâché une bombe dans le paysage médiatique. Elle aurait trouvé des indices d’un éventuel conflit d’intérêts dans l’attribution du contrat de distribution de journaux et de magazines. Grâce à ce contrat, Bpost reçoit chaque année environ 170 millions d’euros du gouvernement pour assurer que les lecteurs reçoivent leur journal le matin.

Peu de temps après, Bpost a limogé son PDG Dirk Tirez et deux top managers. Elle a également commandé un audit interne aux cabinets d’avocats Eubelius et Jones Day. Le journal Le temps a pu voir cet audit et en a publié le contenu vendredi matin. Bpost refuse de publier l’audit, mais confirme que les informations sont correctes.

Qu’y a-t-il dans le rapport ?

Tout d’abord, que des accords illégaux ont été conclus lors de l’attribution de la concession du journal pour 2023-2027, qui a débuté en 2021. Quatre parties étaient impliquées : les distributeurs de journaux Bpost et PPP d’une part, et les éditeurs DPG Media et Mediahuis d’autre part. Chacun avait ses propres intérêts à défendre. Par exemple, Bpost voulait à tout prix remporter le contrat car beaucoup d’argent et des milliers d’emplois en dépendaient. En échange de ne pas concourir pour le contrat, le concurrent PPP serait à son tour autorisé à mendier une part des journaux. Les éditeurs, qui bénéficient eux aussi des subventions, ont passé des accords à ce sujet avec Bpost.

Fin 2021, des personnalités de Bpost, DPG Media et Mediahuis auraient conclu le « contrat tripartite » avec un dîner au restaurant trois étoiles Zilte, au sommet du MAS à Anvers. À peu près au même moment, une note interne de Bpost a été remise au PDG de l’époque, Tirez. Il aurait indiqué en lettres rouges que PPP avait confirmé ne pas concourir pour la nouvelle concession. Cependant, ce passage a été supprimé lors de la remise de la note aux commissaires aux comptes. Selon eux, les preuves ont donc été délibérément manipulées pour compliquer l’enquête.

L’audit soulève également des questions sur le précédent contrat de journal conclu en 2015. Même alors, Bpost a remporté le contrat au détriment de plusieurs concurrents. Bien que l’audit ne révèle pas de preuves tangibles d’abus similaires, il mentionne un gentlemen’s agreement qui a été conclu entre Bpost et un concurrent à l’époque. Le concurrent s’est alors retiré de l’appel d’offres, après quoi Bpost a repris le concurrent. Bpost aurait pris en compte ce retrait dans le prix d’acquisition.

Qu’est-ce que cela signifie pour Bpost ?

Selon Bpost pas tellement. « Cet audit est un document purement interne », souligne la porte-parole Veerle Van Mierlo. L’audit est distinct des trois autres enquêtes sur l’affaire qui sont actuellement en cours : un audit externe ordonné par le gouvernement fédéral, l’enquête de la BMA et une enquête du ministère de la Justice. Tous trois sont toujours en cours et tiendront probablement compte du contenu de cet audit.

Depuis que les trois principaux responsables ont été licenciés, Bpost dit ne pas pouvoir faire grand-chose de plus, si ce n’est renforcer ses procédures internes. Les trois auraient agi complètement seuls. « Ils ont été pris en flagrant délit », explique Van Mierlo. La question est de savoir combien de temps l’entreprise pourra continuer ainsi. L’audit parle d’une culture généralisée de conformité au sein de Bpost.

Dans tous les cas, les dirigeants et l’entreprise risquent de lourdes amendes. Les personnes reconnues coupables de faux ou de manipulation d’offres peuvent également être condamnées à une peine de prison.

Le député N-VA Michael Freilich insiste pour que l’audit soit rendu public. « Bpost appartient à 51 % à l’État. Cela signifie que les citoyens peuvent avoir leur mot à dire. Bpost n’envisage pas de le faire pour le moment. La ministre des Tutelles Petra De Sutter (Groen) demande que l’audit soit soumis pour inspection à la commission parlementaire compétente.

Qu’en est-il de la distribution des journaux ?

En raison des irrégularités, le gouvernement De Croo a prolongé le contrat expirant du journal avec Bpost jusqu’en 2024. L’intention est qu’une nouvelle concession soit conclue plus tard cette année pour la période 2024-2027. En février, le gouvernement a décidé que la dotation annuelle de ce nouveau contrat sera de toute façon inférieure de 50 millions d’euros par an. « Nous ne prendrons pas de décision sur la nouvelle concession tant que l’enquête de la BMA ne sera pas terminée », indique le cabinet du ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne (PS).

Le gouvernement s’ennuie avec l’affaire. Avec 26 000 employés, Bpost est un employeur important. Les socialistes espèrent notamment éviter de lourdes restructurations. Pour les libéraux, cependant, le contrat du journal est en discussion depuis un certain temps. Est-ce à l’État, qui est lui-même le principal actionnaire de Bpost, de lui donner autant d’argent ?

L’enjeu est également important pour les éditeurs, car grâce au contrat avec les journaux, ils ont pu faire parvenir leurs publications à leurs abonnés pendant des années à un prix moins cher. Babet Verstappen, porte-parole de DPG Media, ne souhaite pas pour l’instant répondre à l’audit. « Nous coopérons pleinement à l’enquête de la BMA et attendons le résultat. » Mediahuis s’abstient également de tout commentaire.



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