Biographe Mieke Koenen : « Jeroen Willems a transformé le langage scénique en poésie »


Il y a dix ans, le 3 décembre 2012, l’acteur de théâtre et de cinéma Jeroen Willems mourait d’un arrêt cardiaque à l’âge de 50 ans. Il a reçu le prix Mary Dresselhuys, le Louis d’Or et deux fois un veau d’or. Il était aimé des réalisateurs et du public. Pourtant, il souffrait d’une grande incertitude. Qui était-il? La biographie monumentale sera publiée cette semaine Ta chanson est entendue par Mieke Koenen (1965), classiciste et maître de conférences à l’Université VU d’Amsterdam. Elle a précédemment écrit une biographie sur la poétesse Ida Gerhardt.

Mike Koenen.

Photo Koos Breukel

Vous appelez votre biographie une « biographie d’artiste ». Pourquoi?

« Peu de temps après sa mort, on a surtout évoqué la vie nocturne endiablée de Jeroen Willems, son insécurité et ses peurs qui le rattrapaient toujours lorsqu’il devait monter sur scène. Je ne voulais pas participer à ça. Dès la première fois que je l’ai vu se produire, en 1988, au Theatergroep Hollandia à Les agriculteurs meurent J’étais fasciné par son jeu. J’ai pensé, ‘C’est ma scène.’ La musicalité de sa voix, le jeu physique dans une serre horticole brute. Il a transformé le langage scénique en poésie. A partir de là, je l’ai suivi.

« Ma perspective est bien celle d’un portrait d’artiste. Bien que nous venions tous les deux du sud du Limbourg, du village de Welten, et que nous vivions même dans la même rue, je le connaissais à peine.

Vous basez vos recherches sur les archives personnelles de Willems et sur des centaines de conversations avec des proches et des personnes du monde du théâtre.

« Son père, le metteur en scène et professeur de théâtre Kees Willems, est décédé quand Jeroen avait quinze ans. Cette perte l’a profondément marqué, c’est le fil conducteur qui traverse sa vie et ma biographie. J’ai été soutenu dans ce dernier par ses amis, dont le réalisateur Johan Simons et des acteurs tels que Betty Schuurman, Elsie de Brauw et Marcel Musters, avec qui il a eu une relation pendant quatorze ans.

« Sa mère Rieneke Willems-Reuten m’a donné accès à ses archives. J’ai mis sa vie dans un calendrier, enregistrant ce qu’il a fait année après année. J’ai été étonné par son énorme énergie et son dynamisme au travail. Il a fait le tour du monde avec son solo Deux voix (1997), joué partout, joué dans de nombreux films et pour la télévision. Il ne s’est jamais reposé.

« Après avoir quitté Hollandia en 2004 parce qu’il regardait trop souvent dans l’abîme de ses rôles lourds, il a aussi perdu un havre de paix. Il se lance un nouveau défi en chantant Jacques Brel en traduction néerlandaise. Néanmoins, ses performances de Brel sont devenues légendaires.

« À peu près à la même époque, sa relation de longue date avec l’acteur Marcel Musters s’est terminée par un gros temps. Musters a suggéré un triangle amoureux, mais cela n’a fait que rendre Jeroen plus précaire. J’interprète cela comme le  » chagrin primaire  » causé par la perte précoce de son père. Hollandia est parti, la relation s’est terminée.

Jeroen Willems a parfois été qualifié d’énigme, de sphinx. Avez-vous pu l’appréhender ?

«Je reviens sans cesse à son jeu dans ma biographie. C’est là que réside la clé de sa vie pour moi. Son jeu était toujours en couches. Il vous a invité en tant que spectateur à réfléchir. En travaillant très dur et en modelant sans cesse ses rôles, Jeroen a essayé de trouver l’essence de ses rôles. C’était comme s’il vivait plusieurs vies, c’est pourquoi le théâtre était pour lui la forme d’art idéale. Je pense qu’il pouvait mieux exprimer cette multitude de visages sur scène que devant la caméra.

« Une exception est son rôle dans l’adaptation cinématographique du roman C’est calme à l’étage. Jeroen joue le fils d’un fermier qui parle en phrases courtes et mesurées et en même temps exprime beaucoup avec un regard, un seul regard. Il savait concilier les extrêmes : le bien avec le mal, l’horrible et le poétique. Je me suis toujours demandé comment il faisait ça. C’est peut-être là que réside la réponse : comme aucun autre, il possédait la capacité de se transcender.

Mike Koenen : Votre chanson est entendue. Jeroen Willems, acteur et chanteur. Exp. Nijgh & Van Ditmar, 496 pp. Prix 25,99 €. Inc: singeluitgeverijen.nl



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