Biodiversité, les écosystèmes sont nos meilleurs alliés


RÉ.depuis des millénaires nous les humains nous nous rapportons à la nature comme de véritables maraudeurs de la planète, oubliant trop souvent que nous ne sommes qu’une des nombreuses espèces qui peuplent la Terre. Et que pour notre survie nous sommes étroitement liés aux autres formes de vie. Anne Sverdrup-Thygeson, professeur à l’université norvégienne de biologie de la conservationa pour mission celle de convaincre les gens de prendre soin des écosystèmes. Dans son dernier livre intitulé Entre les mains de la nature (Add Editore) nous rappelle que jusqu’à présent nous avons classé environ un million et demi d’espèces qui nous entourent, mais en réalité le total devrait être d’environ dix millions. Ils vont de la baleine bleue, qui est le plus grand animal du monde, aux formes de vie microscopiques.

Protéger la biodiversité

La biodiversité sur Terre est un trésor de merveilles: la nature est notre fournisseur officiel de nourriture et de matières premières, elle surveille les systèmes qui rendent la vie possible et nous donne la connaissance. “Pour moi, c’est l’endroit où vivre de nouvelles expériences, ressentir de la joie et de l’espoir, être surpris ou contempler”, dit-elle. “Si je n’ai pas la possibilité d’être en contact avec la nature pendant des jours, je me sens frustré.” Selon Sverdrup-Thygeson, la nature a eu des millions d’années pour trouver des solutions à des problèmes complexesalors qui sait combien de découvertes elle peut nous réserver là où on s’y attend le moins. La sauvegarde de la biodiversité est donc dans notre intérêt: une plante, un animal, un champignon, un micro-organisme peut nous offrir des substances utiles à la santé, effectuer une tâche essentielle à l’équilibre naturel, ou nous donner des idées à copier.

Anne Sverdrup-Thygeson, chercheuse norvégienne en biologie de la conservation. (Photo Celina Øier_Copyright Stilton Lit. Agency)

Nous consommons en moyenne 44 kg de viande par personne et par an

Vous écrivez que la nature est comme un immense supermarché où l’on peut trouver tout ce dont on a besoin, tant qu’on n’en abuse pas avec l’exploitation. Que se passe-t-il par exemple avec notre demande de viande ?
Les effets de cette demande se sont accélérés avec la croissance démographique. Aujourd’hui, nous consommons en moyenne 44 kg de viande par personne et par an, soit l’équivalent du poids de quatre agneaux, presque deux fois ce que nous mangions dans les années 1960, quand je suis né. Les conséquences? La moitié des terres non gelées ou désertiques de la planète sont destinées à l’agriculturemais seulement un cinquième pour produire de la nourriture pour les humains, le reste est pour le fourrage ou le pâturage. La masse de nos animaux de compagnie est aujourd’hui dix fois supérieure à celle de la faune de l’âge de pierre. Notre volaille pèse à elle seule trois fois le total de tous les oiseaux sauvages du monde. Outre les défis écologiques, cette situation soulève un certain nombre de questions éthiques et de bien-être animal. La seule solution est de réduire la consommation de viande par ceux qui en mangent le plus pour contribuer à une production alimentaire plus durable.

La biodiversité nous aide à trouver des solutions

Biodiversité : un martin-pêcheur (Getty Images)

Martin-pêcheur (Getty Images)

L’eau est essentielle à la vie, mais elle doit être propre. Pourquoi l’huître perlière est-elle particulièrement utile ?
C’est un allié contre la pollution. Elle ressemble à une moule, elle est à moitié enfouie au fond des rivières, à la verticale. Ce mollusque fait partie d’un système de filtrage naturel : un seul spécimen peut nettoyer 40 à 50 litres d’eau en 24 heures. Malheureusement, il est en danger d’extinction. Ces huîtres, qui vivent jusqu’à 300 ans, doivent survivre lorsqu’elles sont jeunes attachées aux écailles d’un saumon ou d’une truite, avant de se fixer sur les fonds marins. Cette phase est désormais menacée. La pollution et l’érosion agricole signifient qu’il y a trop peu de limon et trop de nutriments dans la rivière, donc trop peu d’oxygène. Ainsi les jeunes huîtres suffoquent.

Un énorme iceberg menace l'écosystème de l'île de Géorgie du Sud

Un énorme iceberg menace l'écosystème de l'île de Géorgie du Sud

Outre les abeilles, de nombreux insectes jouent un rôle vital dans les écosystèmes. Pourriez-vous nous donner un cas?
Les syrphes ! Ils sont jaunes et noirs comme des guêpes. Au moins un demi-million de ces insectes arrivent en Grande-Bretagne chaque printemps. Et c’est une excellente nouvelle : les adultes transportent du pollen exotique et local. Et les larves de syrphes sont des prédateurs avides de pucerons : elles en exterminent trois à dix milliards chaque été, protégeant ainsi les cultures. Ils sont une alternative naturelle aux pesticides.

Anne Sverdrup-Thygeson, Entre les mains de la nature, ADD, 288 pp, 18 €

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Et puis il y a le mâle des Euglossiens, les abeilles des orchidées, qui sont parfumées. Quelle est son utilisation ?
Les Euglossiens sont des créatures d’une beauté presque surnaturelle, avec des corps qui scintillent de nuances métalliques de bleu, vert, violet. Le mâle vole d’orchidée en orchidée pour récolter des huiles aromatiques qu’il conserve dans un espace triangulaire sous les plaques qui recouvrent ses pattes postérieures, à la manière d’un flacon de parfum. Il sert à conquérir la femelle : avec son eau de parfum spéciale, il assure l’accouplement et la progéniture. En même temps, volant de fleur en fleur, il transporte le pollen des orchidées, leur permettant de produire des graines.

Il existe une curieuse créature marine, le limulus, que nous humains vampirisons en extrayant son sang bleu. Comment venir?
Le limulus a vécu sur Terre bien avant les dinosaures. Il reste la plupart du temps en mer, mais pendant la période d’accouplement, il sort pour aller sur les plages. Sur les quatre espèces existantes, l’une vit sur la côte est des États-Unis et les trois autres en Asie. Il joue un rôle vital dans la santé humaine. Si vous avez reçu le vaccin Covid, par exemple, vous lui devez une dette de gratitude. Son sang bleu se fige au contact des bactéries. Une quantité minimale d’endotoxines – des poisons créés par des bactéries vivantes ou mortes – lui donne une consistance semblable à celle d’un gel. Une quantité minimale de sang provenant de ce fossile vivant suffit pour tester un dispositif médical ou un médicament.

La nature est comme une bonne ménagère. Rien n’est gaspillé, tout est recyclé. Que deviennent, par exemple, les arbres morts ?
Nous, les humains, considérons les arbres morts comme inesthétiques, mais le processus de recyclage est essentiel pour rendre disponibles les nutriments qui nourrissent une nouvelle vie dans la forêt. Il y a plus de cellules vivantes dans un arbre tombé qu’il n’en avait lorsqu’il était debout. Les champignons dévoreurs de bois étendent leurs hyphes (filaments qui forment le corps végétatif des champignons) à travers les structures cellulaires et progressivement leurs enzymes digèrent ce qui retenait l’arbre. Ainsi, les nutriments deviennent disponibles pour les insectes, qui pénètrent en mangeant dans les couches du bois. Si l’on ajoute ensuite que les lichens, les mousses et les musaraignes se réfugient dans les cavités, on comprend aisément pourquoi une grande partie des espèces présentes dans la forêt vivante de et dans les arbres morts.

Les équilibres de la nature garantissent notre santé et ne doivent pas être altérés. Qu’est-il arrivé aux colombes migratrices en Amérique ?
Autrefois ces oiseaux étaient si nombreux qu’ils assombrissaient le ciel pendant des heures avec leurs troupeaux. Il a été calculé qu’ils représentaient entre 25 et 40 pour cent des oiseaux nord-américains avant l’intervention humaine. Au milieu du XIXe siècle, la chasse et la déforestation des arbres où ils nichaient les ont éteints. L’histoire elle-même est déjà triste, mais il y a une conséquence inattendue à ajouter. Sans des milliards d’oiseaux en quête de nourriture sur le sol de la forêt, le rongeur Peromyscus maculatus tout à coup, il y avait beaucoup plus de graines disponibles et la population a probablement augmenté. Peromyscus regorge de parasites qui génèrent des maladies transmissibles à l’homme, comme la maladie de Lyme. Selon certains, l’augmentation de cette pathologie serait liée à l’extinction de la tourte voyageuse.

La nature peut-elle être copiée ?
Bien sûr. Le bec du martin-pêcheur a inspiré la conception de trains à grande vitesse plus silencieux, le papillon morpho bleu métallique nous a fait fabriquer des vêtements aux couleurs qui ne s’estompent pas, ou encore la plante de lotus nous a appris à fabriquer des vitres autonettoyantes.

Sommes-nous à temps pour changer notre rapport à la nature ?
Oui, nous n’avons pas d’alternative. Le paradoxe est que notre capacité à exploiter ce que la nature nous offre risque de saper les fondements mêmes de notre vie. La bonne chose est que nous, les humains, avons la capacité d’évaluer nos actions logiquement et moralement dans une perspective plus large. Cette idée porte une grande responsabilité, et il est temps de l’assumer, car la nature est tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes.

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