Biennale du textile : la réalité du pouvoir et de la violence frappe plus fort dans le tissu doux


Poutine regarde droit dans les yeux du visiteur. La tête du dictateur russe est parfaitement capturée dans l’œuvre brodée de l’artiste nigérian Badru Temitayo. Cinq autres visages familiers côtoient le Russe, dont George Floyd, mort des violences policières, le vice-président américain Kamala Harris et l’athlète nigérian Tobi Amusan.

Qu’est-ce qui rapproche ces six chiffres ? Selon Temitayo, ils forment ensemble les symboles de diverses formes de pouvoir : qu’il s’agisse de l’influence politique de Harris, de l’exploit sportif d’Amusan ou de la brutalité policière qui a tué Floyd. Le pouvoir et l’abus de pouvoir sont tout autour de nous.

A la Biennale du textile, avec pour thème Images de pouvoir, au Museum Rijswijk cette édition traite du pouvoir et du pouvoir des images. Pas de photos (d’actualité) ni d’installations engagées, mais la poussière est ici porteuse de pouvoir. Qu’il s’agisse d’installations de tissus, de panneaux brodés ou de tapisseries narratives : les textiles sont ici utilisés pour réfléchir sur des thèmes chargés du présent et du passé.

Les textiles peuvent être trouvés en tant que discipline artistique dans de nombreuses cultures et époques, mais la forme d’art polyvalente est encore sous-évaluée dans le canon de l’art occidental. Les textiles sont considérés comme une ressource, un folklore ou même considérés comme subordonnés à la « vraie » chose. La diversité de cette forme d’art est pourtant bien mise en valeur ici à Rijswijk : la Biennale montre une multitude de sujets convertis en matière molle.

Cristina de Marchi, Sans titre (Loi sur l’avortement)2014.
Musée de la photo de Rijswijk

Support souple

Le textile apparaît comme un doux porteur de la dure réalité actuelle. Idem pour le triptyque tissé Sans titre (Loi sur l’avortement) par l’artiste italienne Cristina de Marchi. Elle confronte le spectateur à la discussion entourant la législation sur l’avortement et le droit à l’autodétermination.

La même carte de l’Amérique se retrouve sur de petites toiles rouge ambré, mais les cartes sont brodées de trois manières différentes. En appliquant des variations dans diverses nuances de rouge et d’ombre, les trois œuvres visualisent chacune une partie différente de la loi américaine sur l’avortement et les différentes législations à ce sujet.

La sérénité dégagée par les trois œuvres réunies contraste fortement avec le thème politiquement et socialement chargé.

Ce qui frappe dans les œuvres textiles, c’est que le procédé traditionnel est tellement visible, ce qui rend les sujets douloureux plus « durs ». Il en va de même pour un grand tapis noué qui montre le portrait photoréaliste d’une famille américaine de tous les jours sur le canapé. Dans le salon, nous voyons le plus jeune de la famille debout à gauche, et le chat Lilly est allongé sous la table, tandis que le père Jep tient fièrement une arme à côté de sa femme Diana.

L’artiste Jan Keth résume des thèmes tels que la guerre, la fausse sécurité et l’incertitude du pouvoir dans ses tapis noués. Les images sur les tapis sont construites en utilisant des nœuds tissés comme pixels photo. Comme les autres artistes, Keth montre qu’une superposition puissante peut être créée en travaillant avec des tissus.

Bouc émissaire

Marcos Kueh considère également le processus traditionnel comme une partie importante de son travail. Il visualise des thèmes tels que l’inégalité entre les personnes, mais aussi entre les personnes et les animaux. Travaillant avec l’iconographie chinoise, malaise et européenne, Kueh visualise le pouvoir sous toutes ses formes.

Marcos Kueh, Moneyet Merah (détail), 2023 (textile tissé industriellement à partir de bouteilles en PET).
Photo Incik Baha / Ron Mandos, Amsterdam

L’installation textile murale colorée montrée ici, Moneyet Merah(« Red Monkey ») est composé de parties séparées, qu’il appelle des « affiches ». Au cours du voyage de Kueh dans sa Malaisie natale, il a été confronté à la destruction de grandes parties de la forêt tropicale et à l’extinction de plusieurs espèces de singes.

Dans son installation, il raconte l’histoire du « singe rouge » : un singe qui est attrapé, peint en rouge et relâché. Par exemple, le singe n’est pas seulement considéré comme un bouc émissaire par l’homme, mais aussi par ses pairs. C’est une narration en poussière sur les complexités des relations mutuelles en cherchant des boucs émissaires.

L’art textile montre ici aussi une interprétation directe et polyvalente de ce qui se passe dans la société. Elle est porteuse non seulement d’un message, mais aussi d’une prise de conscience et d’une forme de réflexion. Dans notre société de consommation visuellement affamée, nous devons réfléchir plus souvent au pouvoir de l’image. Ici à Rijswijk, vous trouverez des réponses dans les textiles.



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