« Bergoglio n’est pas hostile au marché, mais l’Église pose des questions au système »


«L’enseignement de François n’a pas de préjugé contre le marché. Au lieu de cela, il est radicalement opposé aux monopoles et aux oligopoles. Les entrepreneurs jouent un rôle central dans la création d’une richesse saine et sa juste répartition. Naturellement, l’enseignement de François s’oppose à la financiarisation de l’économie. Il n’est pas bon de gagner de l’argent pour gagner de l’argent. Ce n’est pas bien de gagner de l’argent avec de l’argent. Ce n’est pas acceptable. La déresponsabilisation des classes dirigeantes économiques et politiques dans leurs choix vis-à-vis des travailleurs et de leurs familles ne fonctionne jamais. Mais un aspect doit être précisé : d’un point de vue culturel et spirituel, c’est toute l’histoire de l’Église qui pose des questions fondamentales sur les rapports entre l’économie et la société, le système industriel et le système financier, la rareté des ressources économiques et nécessité de préserver les ressources écologiques, le destin de l’homme à l’infini et la modulation passagère des dynamiques entre capital et organisation, technologie et travail. François, naturellement par son originalité, est cohérent avec l’histoire de l’Église qui, depuis le XIXe siècle, s’interroge sur les formes du capitalisme. Il y a une continuité marquée entre lui et ceux qui l’ont précédé : Benoît XVI et, avant même, Jean-Paul II. Chacun avec son propre charisme. Chacun avec sa propre personnalité ».

Emilce Cuda, d’Argentine, est une théologienne morale. Depuis le 4 septembre de l’année dernière, il est secrétaire de la Commission pontificale pour l’Amérique latine du Vatican. Cette semaine, elle a été nommée membre de l’Académie pontificale des sciences sociales. Il a étudié la philosophie à Uba, l’Université de Buenos Aires. Elle est la première femme à avoir obtenu un doctorat en théologie morale de la Pontificia Universidad Católica Argentina Santa María à Buenos Aires, lorsque le grand annuleur c’était précisément Bergoglio. Il a étudié et travaillé à la Northwestern University de Chicago avec Ernesto Laclau, le philosophe et théoricien politique qui est l’un des principaux spécialistes du populisme, dont Emilce a étudié les matrices culturelles et religieuses.

Fille intellectuelle de l’Argentine

Nous sommes à la trattoria Camoscio d’Abruzzo, un endroit très simple près de la gare Termini, de l’autre côté de la ville depuis la via della Conciliazione, où siège la Commission pontificale pour l’Amérique latine. Cuda est un intellectuel. Elle est la fille de l’Argentine. Le pays – le sien et celui de Bergoglio – a une histoire paradoxale et dramatique de renversement d’une grande richesse environnementale, d’une abondance de matières premières et d’industrialisations importantes qui, à la fin, se sont transformées – contre toute forme de rationalité dans l’histoire – en déconstruction économique et sociale les désalignements, la pauvreté des familles et la perte des cœurs.

Par exemple, on ne peut comprendre l’insistance du Pape François sur l’Amazonie – traitée à la fois d’un point de vue théologique et moral – si l’on ne saisit pas sa double nature : un élément de la création et du dessein de Dieu, mais aussi le symbole de la l’expérience d’un continent – l’Amérique du Sud – où les gisements naturels ont souvent fait l’objet d’une exploitation intensive, au profit de quelques-uns (parfois des étrangers), sans aucun impact positif pour les populations locales et même, souvent, avec elles des dommages directs : « La Amazon a une force métaphorique et spirituelle non négligeable. Elle est donc essentielle dans la pensée du pape François. Mais le schéma, en Amérique du Sud et dans d’autres endroits oubliés du monde, se répète toujours de la même manière. Maintenant, en Argentine, il y a le problème du lithium. Qui en profitera ? Ce qui s’est déjà passé avec le gaz et le pétrole ne va-t-il pas arriver ? Souvent, les questions matérielles et les questions spirituelles sont les deux faces d’une même médaille », dit Emilce avec passion.

Classe moyenne et figure européenne

Emilce n’est pas une expression de élite Sud-américain, qui est américanisé dans l’éducation, le comportement et le mode de vie. Son père Antonio était un Argentin de deuxième génération dont la famille avait émigré en Amérique du Sud depuis Milan. Sa mère, Maria Rosa, était également d’origine modeste italienne, vénitienne : « Mon père travaillait à la poste, ma mère était modiste. Tous deux étaient employés. Ils faisaient partie de cette classe moyenne qui existe surtout en Argentine, alors que dans le reste de l’Amérique du Sud il y a une bipolarisation extrême de la société divisée entre les très riches et les très pauvres ».



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