Un sourire apparaît sur ses lèvres, un sourire de fierté non dissimulée, chez lui à sa table à manger en bois dans une banlieue de Bruges. Plus tôt en décembre, « Klimaatklever » a été choisi comme mot Van Dale de l’année – le surnom pour lui-même et pour tous ces autres militants qui ont collé à une œuvre d’art célèbre en 2022 pour attirer l’attention sur le changement climatique. Il note avec satisfaction que le mot a souvent été voté et que le thème est donc bien vivant dans la société. Que quelque chose pourrait même commencer à se transformer en ce qu’il appelle « la masse critique‘. Pour une révolution, les masses n’ont besoin que d’une étincelle, comme l’histoire nous l’a appris. Alors laissez-le être cette étincelle.
Pour une révolution, les masses n’ont besoin que d’une étincelle, l’histoire l’a appris. Alors laissez-le être cette étincelle
Le mercredi 26 octobre, Wouter Mouton (45 ans) et deux collègues militants pour le climat fanatiques, affiliés au groupe militant Extinction Rebellion (XR) et au plus radical Just Stop Oil, sont assis à la même table à manger dans un salon par ailleurs plutôt vide . Le chauffage est aussi faible qu’il est encore supportable. Tous les trois ont pris congé de leur travail. Ils réfléchissent à la manière dont ils s’y prendront le lendemain. Tôt le matin, ils se rendront en voiture à La Haye, où leur cible de renommée mondiale est accrochée au Mauritshuis : une fille avec une boucle d’oreille de Johannes Vermeer. Faire une action là-bas signifie qu’elle sera reprise par les médias. Et c’est ce qu’il est sur le point de faire.
Mouton veut grand „s’agitercar, plus encore qu’en juillet, quand il s’est collé de la main droite à une œuvre célèbre à Bruges par l’artiste de la renaissance Jan Van Eyck, à la suite des actions climatiques d’autres au Mona Lisa au Louvre et au Tournesols de Vincent van Gogh à la National Gallery de Londres. Mouton est parvenu à la presse belge, mais c’était tout. Il a dû aller en prison pendant quelques heures et a été condamné à une amende.
Ce n’était pas la première fois que les médias belges prêtaient attention à ses actions. Au printemps 2022, Mouton portait un T-shirt blanc avec La justice climatique maintenant a franchi la ligne d’arrivée du Tour des Flandres sur sa poitrine, juste derrière le vainqueur Mathieu van der Poel, bien en vue. Trois semaines plus tard, il s’est attaché à un poteau de but lors de la finale de coupe entre Anderlecht et AA Gent. Autant d’exemples de ce qu’il appelle la « désobéissance civile ». C’est la seule façon de réveiller les gens, dit-il. Et croyez-le : il a essayé plus d’une fois de clarifier le problème climatique pressant. En manifestant, en distribuant des flyers, en votant vert. Cela fonctionne « sans interruption », mais qu’a-t-il réalisé ? Exactement rien, dit Mouton. Il est prêt à prendre plus de risques pour « sauver la vie sur la planète ».
Maintenant, l’idée est de coller le côté de son crâne sur la célèbre toile de Vermeer avec la superglue de Bison. Mouton s’est spécialement rasé la tête la veille. Il garde les tubes de colle à la maison dans une «boîte de protestation» en carton. Un de ses complices prend de la soupe de tomates en conserve et la verse sur Mouton. Pas à propos de la peinture, que les militants jugent trop risquée. Le cadre des Tournesols de Van Gogh a été endommagé par la soupe. Cela va trop loin chez Mouton. Il est soucieux de « l’effet visuel », c’est pourquoi un photographe professionnel se joint également à lui.
Révolution
Mouton ne veut explicitement causer aucun dommage. « Notre première préoccupation est toujours la sécurité de la peinture », dit-il. « C’est ça la préparation. Les actions doivent rester dans certaines valeurs et normes. Parce qu’il est important de ne pas perdre la sympathie du public. J’en ai besoin pour atteindre la masse critique. Ces derniers mois, Mouton a fait une étude sur la façon dont une révolution surgit. Il a lu des livres à ce sujet et regardé des films pertinents. A propos des suffragettes britanniques et américaines, par exemple, des femmes qui ont également réclamé leur droit de vote lors de manifestations pacifiques au début du XXe siècle. Mouton les considère comme une source d’inspiration. Plus d’une fois, de grandes choses ont été mises en branle par une seule personne.
Les militants pour le climat achètent un billet et entrent sans problème dans le Mauritshuis le 27 octobre. Mouton est toujours nerveux juste avant le début d’une action. Il sait que c’est risqué ce qu’il fait. Il a une fille de huit ans à la maison. Il se bat pour elle. Il veut que les enfants comme elle grandissent dans un monde sûr. Elle est aussi la seule pour qui il arrêterait de faire campagne. Elle ne devrait pas souffrir. Jusqu’à présent, cela ne s’est pas produit.
Une fois dans le musée, ils se précipitent vers la cible et commencent à exécuter l’action sans hésitation. Lorsque Mouton est enregistré, les gardes se précipitent vers lui. Il tient une fiole d’huile de soja, qui libérera la colle. Mais les gardes attendent l’arrivée de la police. Dans le même temps, le collègue de Mouton lit une déclaration dans laquelle il oppose le « tracas » des œuvres d’art souillées à la « destruction quotidienne des cadres de vie au nom de la croissance économique ». Le photographe s’assure que tout est capturé.
L’action dure quelques minutes puis Mouton est arrêté, sous l’œil vigilant d’une Martine Gosselink, directrice du Mauritshuis, en colère. Mais son point a été fait. Car cette fois, il n’y a pas que les médias belges qui rendent compte de l’action. Mouton fait la Une jusqu’en Espagne et l’actualité fait le tour du monde.
Les trois disparaissent dans la cellule, pour quelques heures, pensent-ils. Après tout, c’est toujours comme ça que ça s’est passé en Belgique. Ils ont été emprisonnés jusqu’à douze heures. L’amende qui tombait sur le paillasson par la suite était généralement également annulée après un avis d’opposition. « Environ trois fois » cela n’a pas fonctionné, puis Extinction Rebellion a payé.
Mais maintenant, ils ne seront pas simplement libérés. Ils sont d’abord détenus dans une cellule à La Haye pendant six jours, où ils sont autorisés à sortir trois fois par jour pour s’exprimer. Mouton a toujours porté son T-shirt enduit de soupe à la tomate. Ils sont alors condamnés par le juge de police à deux mois de prison dont un avec sursis pour « violence contre un objet » et « trouble de l’ordre public ». Le juge estime que Mouton et ses collègues ont franchi une ligne cette fois. Ils doivent également verser une indemnité de 2 000 euros pour compenser les frais de nettoyage, « mais nous n’avons plus entendu parler de cela ». Ils purgent leur peine à Alphen aan den Rijn. Il en va de même pour l’homme qui ne s’est pas collé mais a seulement pris des photos. Mouton : « Cela ne témoigne pas d’une saine démocratie si un photojournaliste peut aussi être détenu comme ça. Je trouve cela inquiétant.
Deux tailles
Il est choqué par le verdict pour plusieurs raisons, contre lesquelles les avocats de Just Stop Oil font appel. « Je sais que ce que je fais est illégal et je le fais sciemment. Mais tout compte fait, deux normes sont utilisées ici. Je souille le verre d’un tableau et je vais en prison pendant des semaines, tandis que le PDG d’une entreprise comme Shell détruit constamment des écosystèmes entiers et s’en tire à bon compte.
La peine de prison de Mouton s’inscrit dans un schéma récent de mesures plus strictes contre les autocollants climatiques dans d’autres pays. Plus tôt cette semaine, il a été annoncé qu’Extinction Rebellion en Grande-Bretagne mettait fin à la désobéissance civile et aux actions perturbatrices, selon un communiqué officiel, afin de travailler à la croissance de leur organisation. Mais ce qui semble y jouer est une loi qui doit encore passer la Chambre des Lords britannique, avec laquelle les vignettes climatiques risquent une peine de prison de six mois. « Il y a un an, vous couriez le risque de finir en prison pendant peut-être cinq heures en tant que maniaque », explique Mouton au téléphone. «Mais six mois de prison, c’est toute une différence. C’est un moyen de dissuasion. Beaucoup de gens chez XR (Extinction Rebellion, ndlr) ne pourront plus se le permettre. Je crains que cette loi ne s’étende également à d’autres pays.
Non pas qu’il arrête lui-même ses actions. Il est prêt à continuer à prendre des « risques personnels » pour « sauver la vie sur terre ». Et avec lui bien d’autres. « Extinction Rebellion est active dans plus de quatre-vingts pays », déclare Mouton. « Et Just Stop Oil prend également de l’ampleur. Je ne m’attends pas à ce que la désobéissance civile disparaisse. Peut-être que le champ d’action change temporairement. Plus d’arts pendant un certain temps, mais plus de blocages de rues, par exemple.
Lire aussi : Les militants britanniques pour le climat d’Extinction Rebellion suspendent leurs actions perturbatrices
Point de non retour
Wouter Mouton se souvient encore exactement quand il a pris conscience du problème climatique. C’était en 2006 lorsqu’il Une vérité qui dérange de l’ancien vice-président américain Al Gore. Gore a réussi à rendre l’élévation du niveau de la mer si « visuelle et concrète » que Mouton a commencé à se plonger dans les conséquences du changement climatique. Plus il lisait, plus il devenait anxieux et déprimé. Ces émotions n’ont jamais disparu et sont devenues sa force motrice. « Le niveau de la mer ne me dérange même pas le plus », dit-il. « Comme nous sommes proches du point de non-retour. » Il fait référence à la horloge climatique qui compte à rebours jusqu’au moment où la Terre s’est réchauffée d’un degré et demi, le nombre convenu comme maximum dans les accords de Paris sur le climat en 2015. L’horloge est actuellement à six ans et plus de cent jours.
Al Gore a sensibilisé Mouton, Thunberg l’a inspiré à l’action
Il faudra attendre 2018 avant que Mouton lui-même n’intervienne. C’est alors qu’il a vu la militante suédoise Greta Thunberg sauter l’école un jour par semaine pour attirer l’attention sur le climat. Sa photo est sur l’écran d’accueil de sa tablette et son nom sur le côté de sa guitare. « Quand j’ai vu ça depuis mon canapé, j’ai pensé que je devais faire quelque chose. Si elle le pouvait, pourquoi pas moi ? » Mouton, qui travaille dans une usine chimique où les matériaux sont recyclés, a pris tout son congé parental d’un seul coup pour pouvoir faire campagne. Depuis lors, il se tient sur le Markt à Bruges un ou deux jours par semaine avec une pancarte indiquant : ‘Que faites-vous pour lutter contre le changement climatique ?‘. C’est devenu son action de base, il y était déjà environ trois cents fois. Depuis 2021, il s’est tourné vers des moyens plus radicaux.
Lors de la course cycliste Liège-Bastogne-Liège fin avril 2022, Mouton a voulu entrer dans le parcours lorsque des passants l’ont reconnu. « La police m’a poussé au sol avec trois hommes si fort que je me suis cassé le coude et j’ai subi une commotion cérébrale. J’ai été incapable de travailler pendant quatre mois. Bien sûr, je l’ai signalé. Mais je me sens particulièrement renforcé par ce genre de réactions. J’en suis fier, j’ai l’impression de faire tout ce que je peux pour faire la différence. Et je ne m’arrêterai pas.
Bonne orientation
En fait, dit Wouter Mouton, il ne voit plus les choses s’arranger avec le climat. Mais quand il laisse cette prise de conscience s’enfoncer, il perd tout espoir. Puis il abandonne. Et puis vous savez avec certitude que rien ne changera. Il tire son courage des récentes poursuites environnementales contre des États. Il y en a environ 2 000 dans le monde, dit-il. Fin 2019, Urgenda a remporté une affaire climatique et l’État néerlandais a été contraint par la Cour suprême de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et en Belgique, le collectif citoyen Climate Case a également remporté un procès auprès du gouvernement en 2021 parce que la politique climatique belge « viole l’obligation légale de diligence et les droits de l’homme ». Cependant, aucun objectif de réduction n’a été suivi. C’est pourquoi Climate Case a fait appel contre l’affaire qu’elle a elle-même gagnée.
Mouton : « C’était impensable il y a cinq ans. Ce sont tous des signaux dans la bonne direction. Maintenant, seul le grand public doit le récupérer.
Une version de cet article est également parue dans le journal du 7 janvier 2023